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  • Photo du rédacteurKarin

Monteviasco

Avec la gazelle, j’ai entrepris l’ascension des 1442 marches qui mènent au village italien de Monteviasco. C’est certainement en essayant de la suivre que j’ai failli y laisser un poumon. Heureusement, je n’ai réalisé qu’à la neuf-centième marche que toutes les centaines étaient numérotées. Avant, ça m’aurait déprimée. Car même si l’on est habitué aux dénivelés en marchant dans la région, cette montée de 375 mètres est constante, sur un chemin muletier certes en bon état mais inégal.


Soutenu par des murets de pierres sèches, le sentier prend progressivement de la hauteur avec une série de virages en épingles à cheveux. La roche utilisée est un gneiss cristallin qui se présente sous forme de fines lamelles, ce qui permet de créer des marches très basses. Ceci afin de faciliter la descente des femmes avec leurs sacoches chargées de produits. Traduisant ces informations de la pancarte explicative, je m’interroge. Les mules sont donc les femmes?


La mulattiera a été restaurée et à certains endroits, maintenant qu’il n’y a plus d’esclaves, les marches ont été rehaussées. Malgré les apparences, ce n’est donc pas un chemin de croix, même si l’on trouvera trois chapelles le long du parcours. L'une dédiée à la Madone de Lourdes (et pas photogénique), la chapelle de Schuster construite à l'occasion de la visite du Cardinal et celle de la Rédemption (ou pas. Jolie lumière). Sur la façade en pierre d'une première maison décentrée, un autel d'un autre style semble nous annoncer le susucre: on est bientôt en haut.


C’est donc presque sur les genoux que j’atteins le petit sanctuaire de Nostra Signora della Serta mais le calvaire n’aura duré qu’une heure. Il s'agit d'un curieux édifice octogonal situé en contre-bas du village et dédié à Notre-Dame du Rosaire. Je ne trouve pas grand chose sur cet intérieur atypique et coloré et ce qui semble être des ex-voto. Il aurait été construit en 1712 à la suite d'un miracle survenu après la querelle entre deux frères pour une histoire de châtaignes. Gravement blessé et promis à l'amputation, Giovanni pria la Sainte Vierge et guérit. Et hop, il lui construit ce petit bijou dont on est prié de fermer la porte pour éviter l'entrée des animaux. Je dis "aurait" parce que ce n'est pas que je veuille me fâcher avec le Pape, mais sur le site officiel des sanctuaires italiens d'ailleurs très incomplet, j'ai lu qu'on était à 1600 mètres et que le téléphérique avait été construit dans l'unique but de rejoindre le lieu saint. Ce qui fait 650 mètres de différence. Quand même.


Comme déjà évoqué dans le billet Vieux moulins et Curiglia (et je vais essayer de radoter le moins possible) le village de Monteviasco n’est atteignable que par le chemin muletier ou par un téléphérique fermé depuis novembre 2018. Il n’y reste qu’une petite dizaine d’habitants à l’année, pour la plupart assez chancelants, une cinquantaine de résidents à la belle saison et deux restaurants. Voire un, vu les circonstances. Pendant l’hiver et depuis 4 ans, les carabiniers de Luino montent quotidiennement au village pour garder le lien avec les habitants. Dernièrement, il a été organisé une journée de vols en hélicoptère pour y amener les résidents estivaux incapables d’emprunter le sentier. Une autre journée est prévue fin août. Le téléphérique n'a toujours pas trouvé repreneur. Lorsque nous sommes arrivées, des provisions venaient d’être acheminées dans une nacelle tractée par câble et l’on s’apprêtait à descendre les poubelles. Dans une annexe de l’église, on peut trouver tout à la fois des toilettes, la trousse de premiers secours et un médecin tous les derniers jeudis du mois. De 16h à 16h30. Je n'invente rien. Mais tant que ce n’est pas tous les 32. Dans l'église même, la crèche semble devoir durer éternellement mais être remise au goût du jour.


L'histoire de ce village de montagne est assez touffue. Du moins à 23 heures 23. Selon les variantes de la légende, quatre brigands ou quatre soldats basés à Milan sous la domination espagnole se seraient réfugiés ici pour échapper aux autorités, sans oublier d'enlever d'abord les femmes du bled voisin. Des traces d'art rupestre démontrent quant à elles que l'endroit aurait déjà été habité à l'époque préhistorique. Ensuite, ce sont des décennies, voire des siècles, de prises de tête entre Suisses et Italiens qui se battent non seulement pour des châtaignes, mais aussi pour du bois, des chèvres, des prairies et des outils. Une fois les frontières tracées, la situation s'est calmée et Monteviasco a compté plus de 400 âmes dans les années 1800 avant de subir une importante hémorragie au siècle dernier. La Sainte Vierge n'a rien pu faire.



C’est un joli village, difficile à prendre en photo lorsqu'on déambule dans ses ruelles étroites. On constate assez vite qu'il a morflé. Les maisons sont impressionnantes, avec leurs toits en pierre et leurs balcons en bois. Si les toilettes sont toujours au bout de la galerie, je ne m'y aventurerais pas forcément. On y trouve, comme souvent en Italie, un contraste saisissant entre la volonté de le mettre en valeur par des oeuvres murales, et un enchevêtrement de fils électriques qui fait un peu peur. Est-ce pour montrer que leur bidouillage fonctionne très bien, l’éclairage public est resté allumé aujourd’hui. A moins qu’il ne soit relié à la dynamo du type qui pédale pour descendre les poubelles. Nous arpentons les quelques ruelles, trouvons le lavoir, quelques fresques défraichies et buvons un coup dans le seul restaurant ouvert, assises dans la rue sur un banc de cantine et pliant les genoux dès qu’une personne passe. Mais nous n'avons pas dû le faire trop souvent. Même si nous n’étions pas les seules à souffler dans le chemin muletier, les promeneurs semblent s’être disséminés aux alentours où il y a certainement de belles balades à effectuer.


Quant à nous, nous redescendons en trois quarts d’heure par la mulattiera. Notre « Ciao! » est plus léger et légèrement condescendant maintenant que nous croisons des gens ahanant et suant dans la montée. Des parents inconscients ont voulu prendre leur fillette de 3 ans, en sandales. Assise sur la 214ème marche, la gamine hurle et décrète qu’elle n’ira pas plus loin. Tiens, j’aurais presque pu faire pareil mais je suis trop vieille. Plus sérieusement, je ne suis pas déçue de notre escapade. C’était très beau même si je m’attendais à surplomber le lac Majeur et à avoir une plus belle vue d’ensemble sur le village. J'imagine qu'il faudrait poursuivre sur Curiglia ou le Monte Lema et forcément continuer à crapahuter.

Je reprends mon souffle et y retourne dans quelques semaines.


Si comme nous, en arrivant au pied du chemin muletier, vous souhaitez poursuivre un peu la route, nous nous trouvons à 15 minutes des anciens moulins de Piero, évoqués dans le billet cité plus haut. Passé les deux derniers édifices encore sur pieds et continuant à longer la rivière sur le sentier, on en verra d’autres en plus mauvais état, en plein coeur d’une forêt moussue et enchanteresse. Plus haut encore se trouvait un pont romain qui enjambait la Giona et reliait les deux vallées. Malheureusement, il a été emporté par les flots il y a une année.


Et s’il vous reste encore un peu d’énergie, en revenant à nouveau en arrière et en 15 minutes de marche sur une montée assez sèche, on arrive dans le joli hameau de Piero que l'on apercevait depuis la mulattiera. Ici tout est petit: l’église, les maisons et les ruelles. Mais pas le coq. En plein coeur du village, et j'imagine qu'on ne peut pas le rater, on trouvera un agriturismo où l'on peut se sustenter, à l'ombre d'un arbre presque aussi grand que le hameau mais dont j'ai oublié le nom.



Une fois de plus, j'ai été charmée par cette région étonnante où l'on a l'impression d'être perdu en moyenne montagne alors que l'on se trouve à moins de mille mètres.


Sources:


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