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  • Photo du rédacteurKarin

Sasso delle Parole

Le départ pour cette balade d’une heure et demie (en prenant le temps de musarder et effectuer quelques détours) se fait après avoir laissé notre voiture sur un terre-plein en bord de route. Sur Google Maps, la mention « Parktplatz für Sasso delle Parole » donne à penser qu’il vaut mieux éviter le lieu à certaines heures et périodes.


Pour y accéder en véhicule, on monte donc sur la Collina d’Oro depuis Lugano, on passe Gentilino avec un regard sur la magnifique église de Sant’Abbondio et on traverse Montagnola avec une pensée pour Hermann Hesse. Après Agra, au moment où la route commence à entrer dans la forêt et à descendre, on se gare sur la droite avant le virage en épingle à cheveux. Si l’on se trouve après le virage, c’est qu’il faut faire demi-tour comme nous.




En fonction des véhicules déjà parqués, on peut choisir d’aller voir une première fois le caillou qui se trouve à cinq minutes. Sinon, on le garde pour la fin comme j’ai décidé de le faire pour ce texte et l’on part quelques mètres sur la route par laquelle on est arrivé en voiture, avant de suivre un sentier dans la forêt qui descend sur le village de Barbengo.


Autrefois communauté agricole, l’activité principale du lieu était l’élevage de vers à soie. Chose courante dans ces régions, et même dans mon hameau, et que j’ignorais totalement. Puis le village a connu un regain d’activités (ou du moins accueilli de nouveaux habitants) avec le développement de la zone industrielle à ses pieds.

Nous traversons le village et nous aventurons dans quelques ruelles pour découvrir de petites merveilles d’architecture et cette fameuse maison dans les tons orangers et aux contours improbables que l’on repère de loin, la Casa Guidini. Le bâtiment original, de style néoclassique tardif, date du milieu du XIXe siècle; il se compose d'un corps avec des fenêtres ogivales et donne sur un jardin. L'aile avec des éléments décoratifs néo-gothiques en brique, en revanche, a été ajoutée en 1891 par Augusto Guidini senior.

Nous verrons aussi un chat, une dame dans sa cuisine, une Cinquecento rouge et des kakis. C’est fou ce qu’ils peuvent aimer les plaqueminiers dans ces contrées (ah, la culture… et Google) mais ne pas en apprécier le fruit d’après ces boules gélatineuses qui pourrissent sur les branches un peu partout.






Nous continuons notre route en direction de l’église de Sant’Ambrogio située à l’extérieur du village sur une colline où devait certainement se trouver aussi un château. Ses origines sont moyenâgeuses tout comme les traces les plus anciennes du bourg, mais elle a été reconstruite et son aspect actuel est de style XVIIIe. Etonnamment, le campanile est plus récent et date de 1883.


Depuis longtemps lorsque je me rends à Grancia dans la plaine (j’avoue, je vais parfois chez mon ami Ikea), mon regard est attiré par cette église sur la colline, qui en soi n’a rien de particulier si ce n’est ce campanile seul qui la surplombe de quelques mètres. Je suis contente de pouvoir enfin voir ces édifices de près et regarder la zone industrielle de loin. Sur la pente qui nous fait face, le sanctuaire de la Madonna d’Ongero émerge dans la forêt. Un peu plus loin, on aperçoit une clairière et les maisons rosées de Torello. Mes compagnons et moi buvons un thé chaud aux épices dans des gobelets séparés au pied de la tour car il faut préciser que nous sommes au mois de janvier et en plein Covid (ces dernier termes ne voulant d’ailleurs plus dire grand chose).



Au loin, il s'agit du San Salvatore.


Reprenant notre chemin en direction de Casoro, nous ne ferons pas de crochet pour voir le roccolo de près mais à mon avis cela doit en valoir la peine, pour la vue également, puisque celui de Barbengo domine l’entrée sur la plaine. Un roccolo n’a pas d’équivalence en français, il s’agit d’une tour en pierre de trois étages construite en général sur un promontoire et entourée d’une zone dégagée ovale. Exposés aux courants migratoires, les roccoli servaient donc à piéger les oiseaux. On tendait des filets autour de la zone du bâtiment et on se servait de ruses pour les attirer. Et puis? et bien, pour la plupart, on les bouffait, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise? ça agrémentait la polenta parce qu’en ces temps-là, dans ces vallées rudes, un steak ne se trouvait pas, même à la Migros. Que les défenseurs des animaux se détendent, ces pratiques ont été interdites à la fin du 19e siècle déjà. Par contre, certains roccoli subsistent et n’ont pas encore été déboulonnés sous quelque houlette végane choquée et vindicative. Alors, profitez!

Une fois la hauteur du roccolo dépassée, le chemin se met à descendre dans la forêt et nous prenons un sentier à droite. Il s’agit maintenant d’effectuer quelques cent mètres de dénivellation car nous sommes au pied de notre caillou. Nous trouverons quelques excuses pour nous arrêter en chemin : une petite grotte, une première esplanade avec deux bancs rouges pour admirer la vue et un lac si limpide que l'on pourrait presque apercevoir les poissons nager vers les berges de Casoro. Sur les bords du sentier, des fleurs commencent déjà à pointer leur nez, dont de magnifiques roses de Noël.






Les dernières marches pour nous hisser sur le rocher sont les pires pour les fumeurs mais le spectacle qui s’ouvre devant nous vaut cet ultime petit effort. Le Sasso delle Parole, littéralement le Caillou des Mots, est un balcon panoramique naturel, caché dans les bois et ainsi nommé car des générations d’amoureux ont incisé leurs pensées et leurs noms dans la roche. Aujourd’hui, il est plus facile de le faire au marqueur sur les bancs rouges. Ou de faire exploser une mini-bombe contenant des petits coeurs en papier rose comme ceux que nous avons foulés sur les marches en arrivant. J’imagine que les couchers de soleil en solitaire, ici, ça ne doit pas trop être possible.



Imaginez l'endroit à la Saint-Valentin 🤣

Beaucoup de légendes sont nées autour du Sasso delle Parole. Il était également un lieu de promenade pour les patients du sanatorium d’Agra et l’on raconte qu’en 1964, l’un d’eux, par peine de coeur, s’y est jeté dans le vide.

Bon, il y a des lieux plus moches pour mourir. Nous surplombons le lac de Lugano, la vallée en contre-bas est silencieuse et de rares bateaux fendent les eaux. La journée est nette, on aperçoit donc le Mont Rose et la Pointe Dufour enneigée. Tout comme le Monte Lema qui s'étire sur notre droite pour rejoindre le Tamaro. On surplombe Caslano, le Monte Caslano, Ponte Tresa et la rive italienne vers le Golfe du Ceresio.




Une fois de plus, nous sommes dans les pas d’Hermann Hesse qui venait souvent se promener et peindre à cet endroit. Son poème, Regard vers l’Italie, résonne de manière particulière alors que ce pays nous est interdit depuis des mois.

Au-delà du lac et derrière les montagnes roses

se trouve l'Italie, terre promise de ma jeunesse,

patrie familière de mes rêves.

Et dans l'automne naissant

de mon existence je suis seul,

je contemple les yeux beaux et cruels de la vie,

je choisis des couleurs de l'amour et je peins celle

qui m'a si souvent trompé,

et que j'aime encore et toujours.

Amour et solitude,

amour et nostalgie insatiable

donnent vie à l’art;

même à l’automne de mon existence

ils me prennent par la main.

et leur chant poignant

attire une splendeur magique sur lac et montagnes

et sur le beau monde qui prend congé.

Nous aussi. Quelques pas dans une forêt de hêtres aux racines incroyables et nous regagnons notre voiture, la boucle est bouclée. Allez, hop, on va se manger une pizza? Ou alors on se trouve un petit grotto?

Mais non, je déconne!




Références :

Con Hermann Hesse attraverso il Ticino, Regina Bücher, Armando Dadò Editore, 2013

A noter que j'ai traduit moi-même le poème d'Hermann Hesse de l'italien...



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