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  • Photo du rédacteurKarin

Campo dei Fiori

Le Campo dei Fiori est une place de Rome.

C’est aussi un parc régional et une zone protégée de la région de Varese. Ce «champs de fleurs» ainsi appelé parce qu’il était autrefois recouvert de petits arbustes et de massifs fleuris est aujourd’hui une vaste forêt. Et pour l’évocation, précisons encore que nous allons monter à quelques 1100 mètres et que le paysage n’a rien du pré de coquelicots. La route pour atteindre les lieux est sinueuse et étroite. On ne sait pas trop ce que l’on va trouver au détour des virages, on hésite à user du klaxon et dans les courbes en épingle à cheveux, mieux vaut avoir un co-pilote pour nous indiquer si la voie est libre afin de pouvoir déborder un peu.

Le trajet en voiture est donc déjà une aventure en soi. Au hasard des tournants, on aperçoit à travers les arbres quelques bâtiments surgissant du maquis, un observatoire astronomique et plein d’antennes. Une superbe échappée sur le village de Santa Maria del Monte nous pousse à faire une première halte photographique. Ici se trouve le Sacro Monte, montagne sacrée composée de quatorze chapelles menant au sanctuaire au centre du hameau. Construit au XVIIe siècle, ce lieu de pèlerinage est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.




Avant de partir, j’ai repéré les endroits que je voulais voir en espérant effectuer une boucle mais rien n’était moins sûr, sans carte, sachant de plus par expérience que les sentiers en Italie sont indiqués de façon aléatoire. On verra plus loin que pour la boucle, effectivement, on oublie. Cependant, je tente sur le plan ci-dessous de vous proposer un autre parcours ou alors, faites comme nous, pataugez un peu.


Nous laissons notre véhicule en bord de route dans un virage à l’entrée d’une allée fermée par une barrière électrique. D’autres promeneurs l’ayant contournée avant nous, malgré les panneaux «propriété privée», nous leur emboitons le pas. Nous sommes en fait dans l’enceinte du Grand Hôtel Campo dei Fiori.

Au début du XXème siècle, le Varesotto était devenu une destination de vacances d'été très prisée. Pour la noblesse et la bourgeoisie de la région, mais surtout pour les Milanais, c’était une région où ils pouvaient se retirer loin de l’agitation. Et alors que le tourisme alpin n’était pas encore né, le Campo dei Fiori offrait la paix et le charme d'une montagne sauvage à une courte distance du centre ville de Varese. Plusieurs particuliers ont donc décidé de construire leurs villas sur le versant sud de la montagne, la plupart dans le style architectural le plus en vogue à l'époque, l'Art nouveau.

En 1907, avec le développement simultané du réseau de transport (funiculaire et tramways ) un groupe d'entrepreneurs, désireux d'investir dans le tourisme de la région, ont décidé de créer la Société Anonyme des Grands Hôtels de Varese et ont chargé l'architecte Giuseppe Sommaruga, l'un des principaux représentants de l'Art nouveau italien, de concevoir des bâtiments d’hébergement. Ils ont notamment commandé un hôtel de 30 chambres (qui deviendra plus tard le restaurant Belvédère), les gares du funiculaire et un autre hôtel de 200 chambres: le Grand Hôtel.

Les travaux de construction ont commencé en 1910 et se sont achevés en 1912, tandis que le restaurant et le funiculaire avaient commencé à fonctionner quelque temps auparavant.

Des solutions ingénieuses de construction et de génie végétal ont été employées pour bâtir le complexe, on a utilisé des charges de dynamite pour creuser la montagne, et le projet global a profondément modifié le paysage de la région puisqu'un vaste jardin a été construit autour des bâtiments. L’hôtel possédait ainsi un charme particulier grâce à son emplacement et à la fusion que Sommaruga était parvenu à réaliser entre l’architecture, le lieu et la nature, créant l’illusion que l’édifice naissait de la roche.


J'imagine que nous n'avons pas perdu plus de 100 mètres d'altitude en un siècle et

qu'il était plus exotique et pratique d'inscrire 1200 m sur les cartes postales.


Après son ouverture, le complexe a été la destination d'un important flux de tourisme d'élite pendant environ un demi-siècle, interrompu seulement par les deux guerres mondiales. Arrivés à la gare de Varese, les Milanais n’avaient plus qu’à prendre le funiculaire pour atteindre la destination de leur lieu de villégiature. Il s'agissait d'un véritable hôtel de luxe, doté du meilleur confort pour l'époque: un tiers des chambres disposait d'une salle de bains privée, chose alors rarissime. Il possédait un somptueux restaurant et une salle de bal offrant une vue imprenable sur le Sacro Monte. Seule une trentaine de personnes travaillaient en permanence dans l’établissement. En effet, presque tous les résidents arrivaient avec leurs propres domestiques, certains même avec leur cuisinier. Une chambre coûtait l'équivalent de 250 francs par nuit, ce qui est correct si l'on considère qu'il s'agit d'un hôtel cinq étoiles. Il faut cependant tenir compte du fait qu'à l'époque, les gens ne prenaient pas une ou deux semaines de vacances comme aujourd'hui mais que les chambres étaient réservées pour toute la saison.

En 1944, le bâtiment a été utilisé comme hôpital militaire. En 1947, un incendie a ravagé le dernier étage, qui a été réparé à la hâte avec une structure préfabriquée. En 1953, avec la fermeture du funiculaire et le boom économique, le flux de touristes a commencé à décliner. Les gens avaient leur propre moyen de locomotion et pouvaient ainsi aller où ils voulaient, pourquoi s’aventurer au bout du monde sur des routes étroites et impraticables? Hein? Pourquoi? En 1968, l'hôtel et le restaurant ont fermé. Au cours des vingt années suivantes, en raison du manque total d'intérêt de la part des propriétaires et de la négligence des concierges, l'hôtel a été progressivement dépouillé de nombreux meubles d'époque (certains d'une valeur énorme), dont seuls quelques-uns ont été sauvés.

Dans les années 1980, des entrepreneurs de Varese ont acheté le bâtiment, donnant lieu à des spéculations sur sa réouverture. Ma niente: avec l'essor des stations de radio et de télévision privées, il y avait une forte demande d'emplacements en haute altitude pour installer des répéteurs et des antennes et le toit de l’hôtel a donc servi de "base". Pendant quelques années, l'édifice lui-même a été le siège d'une station de radio locale (Radio Campo dei Fiori). La situation actuelle est pratiquement inchangée, le bâtiment servant exclusivement de support pour les antennes (dont beaucoup sont désaffectées et rouillées). Celles-ci nécessitent la présence d'un gardien dans le bâtiment et un minimum d'entretien du toit, ce qui préserve le bâtiment de la négligence et de la ruine complète, ainsi que du vandalisme et de nouveaux vols.

Je vous laisse imaginer le gardien,

tout seul la nuit

dans son appartement

et l’hôtel vide.


Le lieu est occasionnellement réouvert au public lors de visites sur inscriptions organisées par la FAI (Fond pour le patrimoine italien) mais je n’ai rien trouvé sur l’après-(pendant)-Covid.

En 2018, il a également servi de décors au remake d’un film d’horreur de 1977, Suspiria. Rebaptisé Tanz, on peut d’ailleurs encore aujourd’hui voir l’inscription qui se mêle à l’ancienne. La bande-annonce n’est que légèrement gore. On aperçoit même le concierge à la fenêtre.




Pour des photographies actuelles de l’intérieur du lieu, vous pouvez consulter le blog Chiara Viaggiante mais par contre il est farci de publicités, c’est assez désagréable à regarder. Vous pouvez aussi aller jusqu’en bas de son billet pour visionner le filmetto sur YouTube mais là encore, je conseille de couper le son. Bon, pardon madame, et continuons tout droit pour rejoindre en quelques pas la station d’arrivée de l’ancien funiculaire et profiter d’une vue imprenable sur Santa Maria del Monte.


Dépassant la station, nous continuons sur le même chemin, bien qu’il n’y ait plus d’indications, pour arriver en contrebas de l’ancien Restaurant Belvédère, appartenant à l’Hôtel et fermé en même temps que lui. Luxueux lui aussi, il était devenu célèbre pour sa vue et son excellente cuisine. Il était composé entre autres d’une entrée majestueuse, d'une grande salle à manger semi-circulaire et d’escaliers symétriques. Sur le site Varese in scena, l’auteur de l'article évoque le naufrage: «La vue des photos historiques nous donne le même sentiment que le Titanic dans le film épique: paillettes et émerveillement. Voici à quoi devait ressembler le restaurant Belvédère à l’époque.» Aujourd’hui, il ne reste pas grand chose de glamour dans cette carcasse croulante envahie de végétation. D’ailleurs, nous ne nous sommes pas doutés un instant de sa fonction et ce n’est qu’à notre retour que j’ai découvert qu’il s’agissait d’un restaurant. Nous nous approchons juste assez pour faire quelques photos et repartons sur notre chemin.




Mazzucotelli, ami d’enfance de l’architecte Sommaruga, a ici comme dans le Grand Hôtel réalisé des oeuvres étonnantes. C’était en effet un maître du fer forgé qui pouvait plier la matière comme s’il s’agissait de soie. Aucun Uri Geller n’est donc passé par là pour se défouler depuis que les lieux sont désaffectés.

Un peu plus loin, en-dessous d’une maison privée, se trouve le début du sentier de la Scala nel Cielo. Terrible déception, un panneau indique que le passage est fermé depuis 2020 pour des travaux de réhabilitation qui devaient durer 124 jours. Mais bon, est-ce le sentier qu’ils refont ou les voies d’escalade qui sillonnent la falaise ? Ce n’est pas très clair. Le sigle d’interdiction est tout petit. La barrière en plastique orange qui ferme le sentier est déjà bien piétinée. Il faut dire qu’en Italie, les interdictions, ils s’en tapent un peu le derrière sur les pavés. Et comment ne pas être aimantés par le terme «escalier dans le ciel»? Allez, hop! Nous passons outre. Vous jugerez si cela en valait la peine. Il ne faut juste pas trop toucher la rampe en fer et bien rester côté rocher pour ne pas finir comme le pauvre Gilmo.



Mais alors que nous arrivons sur un nouveau versant et une vue s’ouvrant maintenant en direction du Lac Majeur, le sentier devient vraiment scabreux et nous décidons de rebrousser chemin. Il aurait fallu continuer en ligne droite en-dessous du bouleau sans savoir ce que l'on trouvait en haut. Vous admettrez que ce n'était pas très prudent de poursuivre.

Revenus à l’ancien funiculaire, nous suivons l’indication Tre Croci et empruntons une sorte de chemin de croix particulier, où les postes sont des cailloux représentant chacun un corps des forces armées incorporées durant la deuxième guerre mondiale.




Les trois croix et le tertre représentent le Golgotha. On domine le lac de Varese et le Sacro Monte. Depuis ce point de vue, un sentier continue dans la forêt mais là encore, aucune indication. Mon comparse ayant les pieds foutus, nous devons souvent brider nos élans et nous revenons sur nos pas. Après avoir récupéré notre voiture, nous montons sur quelques mètres et virages pour nous garer vers la pension Irma. Nous nous aventurons en direction de l’ancienne colonie que nous apercevions depuis la route. Eh oui, encore un urbex!

Lui aussi lié au projet de la Société Anonyme des Grands Hôtels de Varese, le bâtiment a été construit dans les années 1920 afin d’en faire une pension de luxe pour les nombreux vacanciers milanais.

Au début des années 30, cependant, le bâtiment et ses dépendances sont achetés par l'ingénieur Siro Magnaghi, qui le transforme en colonie de montagne d'été: l'idée est si populaire que le complexe devient l'un des plus connus de ce type pendant toute l'ère fasciste. En regardant la façade, on peut encore lire une inscription portant la date de 1938, vraisemblablement l'année où la colonie a été transformée en un refuge pour les enfants et les jeunes en difficultés.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la gestion de l'établissement a été confiée à Don Natale Motta qui, pendant la dernière période du conflit, a caché à l'intérieur de nombreuses personnes fidèles au régime de Mussolini, leur évitant ainsi d'être capturées par les partisans. Puis, inversion des rôles! Peu après la libération de l'Italie par les Alliés, la colonie a été reconvertie, devenant un lieu de détention pour les prisonniers fascistes, qui y restaient avec le simple accord de ne pas s'échapper: pour cette raison, la colonie a été surnommée la "prison sans barreaux". Cette situation a duré jusqu'au 10 juillet 1946, date à laquelle tous les prisonniers ont été libérés.

À partir de ce moment, le bâtiment a été complètement abandonné et n'a jamais été réutilisé, devenant la cible de squatters et de vandales. Comme si cela ne suffisait pas, en raison d'une négligence prolongée, la structure de l'ancien toit s'est fortement détériorée et les infiltrations d'eau et de neige qui en ont résulté ont ruiné tous les intérieurs, qui apparaissent maintenant presque complètement en ruine. La seule pièce qui subsiste plus ou moins telle qu'elle était à l'origine est une petite chapelle intégrée au bâtiment, finement décorée de fresques, dont les auteurs et la datation restent un mystère.


Nous ne sommes pas entrés dans le bâtiment mais seulement dans une petite annexe. Nous avons également passé notre appareil à travers la grille d'une fenêtre cassée. Les lieux semblent terriblement dégradés et sur le point de s'écrouler de tous les côtés. Le film suivant est un peu longuet mais montre bien l'ampleur des dégâts. A la minute 2:20 on découvre la fameuse chapelle.



Nous quittons le Campo dei Fiori avec un sentiment mitigé, les yeux remplis de paysages magnifiques mais aussi de la triste décadence d’une époque faste. J’ai devant moi des heures de recherches passionnantes. Qui m’apprennent également, comme l’on peut s’en douter, que depuis leur fermeture ces bâtiments ont fait l’objet de nombreux projets de réhabilitation, maintes fois remis sur la table, maintes fois abandonnés par manque de fonds et brouilles politiques.

Nous reviendrons nous promener dans cet endroit étonnant car nous avons manqué un autre point de vue panoramique côté nord ainsi que l'observatoire. Et puis, maintenant, je connais la route!

A noter encore que malgré les inscriptions "proprietà privata", la zone du Grand Hôtel est ouverte au public. Quant au sentier, je vous laisse juges le moment venu.


Sources:

Photos d'archives: Flickr


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