Ça y est! Pourvu que ça dure. On est à peine mi-janvier et j'ai déjà réalisé un de mes défis de l'année, à savoir monter au Lema alors que le téléphérique est fermé. Elle est pas belle, la vie?
Je confirme, elle l'est, lorsqu'on se retrouve presque seule au sommet avec une vue à 360 degrés, dominant ce paysage époustouflant dans un silence total.
Mais reprenons depuis le début car on n'a rien sans rien. On s'apprête à effectuer un dénivelé de quelques 860 mètres et je sais, pour y être déjà montée en cabine et descendue à pieds, que le dernier bout n'est pas piqué des hannetons.
C'est grâce à ma copine Charlotte, qui connait bien la région pour avoir longtemps habité à Miglieglia, que je découvre un trajet un peu moins contraignant afin d'atteindre notre but. L'autre option ayant été de partir depuis chez nous, je vois bien l'antenne depuis ma chambre... Il faut alors compter une à deux heures de plus et la dénivellation qui va avec, naïve que je suis. Nous nous garons à l'Alpe Paz où des daims encore endormis dans leur enclos nous regardent entamer notre randonnée. Ici encore c'est grâce à Charlotte que je peux vous dire que ce sont des daims, jusqu'alors je pensais que c'était des biches; je ne suis pas très douée avec ces mammifères. Mais c'est presque pareil, non? Nous serpentons parmi les hêtres en brassant les feuilles mortes pour arriver à Cima Pianca. A l'intention des petits malins qui voudraient éviter un bout de montée en continuant sur la route en voiture, il faut savoir que celle-ci est barrée peu après Paz. Et puis, cette grimpette est plutôt une jolie mise en jambes.
Nous allons là-haut:
Arrivées à Cima Pianca, nous nous octroyons une première petite pause en contemplant le paysage qui commence à s'ouvrir à nos pieds et en profitant du soleil et d'une température incroyable pour janvier. Un husky me fait honte en parcourant en courant le sentier que j'ai effectué en soufflant. Une petite trempette dans la fontaine avant de repartir sur le même rythme rechercher son maitre. Qui souffle aussi un peu quand même.
Nous nous remettons en route. Aïe! J'avais bien remarqué sur ma carte ce chemin qui monte à pic. Cette sorte de tranchée dans une forêt de sapins. Charlotte s'y engage en m'assurant que ça sera peut-être un peu pénible mais plus court. Elle a raison. Grimper parmi ces conifères et croiser quelques sculptures en bois coloré qui semblent nous encourager est une expérience unique et relativement brève. Je regrette de ne pas avoir de photo, j'étais trop concentrée à agripper mes bâtons. Recommandés, d'ailleurs. Tout comme les chaussures de marche. (Spéciale dédicace à ma fille 😂 )
Les sapins laissent soudain la place aux hêtres à nouveau, puis aux bouleaux avant que la végétation ne se raréfie. Une cabane au milieu de nulle part s'élève dans les arbres après un tournant et Charlotte confirme que ce sont des constructions de chasseurs. Entre le vert fluo de la veste de mon amie et le fuschia de la mienne, j'ose espérer que nous ne risquons rien. Nous arrivons sur une prairie où la vue se dégage sur le lac Majeur et le Mont-Rose ("mon" Mont-Rose, enfin!) Du côté du Mendrisiotto, deux rectangles nous interpellent avant que nous ne réalisions qu'il s'agit des édifices de Milan qui émergent du smog. Ici, nous déciderons de concert avoir vu le Dôme briller et si vous ne nous croyez pas, vous n'aviez qu'à être là. A côté d'un cabanon, un banc de pique-nique cossu nous oblige à nous arrêter pour une petite entrée en plongeant le regard dans le lac et les Alpes qui s'étirent en couches successives et infinies.
Il ne nous reste maintenant plus qu'à grimper sur ce Cücch!
Nous peinons à trouver un sentier dans cette sorte de toundra ravinée par les pluies. Si cela est possible, la vue s'ouvre encore plus à chaque pas, une excuse toute trouvée pour m'arrêter tous les cinq mètres. Une curieuse installation nous rappelle que jusqu'en 1997, on montait au Lema en télésiège à deux places circulant perpendiculairement* à la pente et orné d'un petit parasol. Depuis il a été remplacé par la funivia, récemment rebaptisée Lema Mountain car nous sommes au Tessin.
*perpendiculairement ou parallèlement? Ceci étant la grande question existentielle de la soirée...
Nous croisons le husky qui s'est déjà tapé trois fois le sommet. En contre-bas, du côté de nos villages, une fumée s'élève soudain et nous fait nous demander ce que nous aurions pu laisser brûler. Il n'y a pas eu de pluie digne de ce nom depuis de longues semaines et allumer des feux à l'extérieur est strictement interdit, ganz verboten. Ce début d'incendie vers Castelrotto a nécessité l'intervention des pompiers et depuis notre mirador nous avons pu en voir l'évolution.
Au sommet, nous dépassons la croix, la station météo et un couple de touristes allemands qui se préparent une jolie marque de tee-shirt. A l'arrivée du télécabine, nous entreprenons le demi-tour du mont. Qui ne se traduit pas par "mountain" d'ailleurs, soit dit au passage. C'est con quand on veut "faire genre" et qu'en plus c'est faux. Bon dì, Ticino Turismo!
Ce versant au nord est un peu scabreux car des résidus de neige glacée nous obligent à être très attentives. Depuis ce côté, la vue est moins spectaculaire lorsqu'on est blasé, plus aride, mais par contre on peut apercevoir le verso du Cervin. Charlotte et moi l'avons vu, comme le Dôme. Ainsi que la Jungfrau. Plus bas, mais reconnaissable par contre, le village d'Indemini.
A la fin de notre boucle, un énième banc nous invite à manger notre plat principal devant une fresque géante. Le temps que l'on se remette en route, la fumée de l'incendie a enveloppé le Monte Caslano et masque Lugano. Nous revenons sur nos pas puis au croisement partons sur la Forcola pour entrer tout à coup dans une forêt magique de jeunes bouleaux et de touffes de genêt. Je comprends maintenant mieux pourquoi Charlotte ne nous a pas fait prendre ce sentier pour monter. Effectuer ces interminables virages dans les feuilles mortes et la caillasse pour ensuite devoir gravir le Cücch, ça doit faire mal.
Nous arrivons ainsi à la Forcola, un petit col et une place de pique-nique qui doit certainement être très agréable en été. Maintenant l'endroit est à l'ombre et aussi glacé que la fontaine. C'est sur un chemin relativement plat que nous rejoignons Cima Pianca. La dernière descente semble à présent ne plus finir et nous arrivons à l'Alpe Paz aussi courbées que l'ombre de l'orme sur le rustico. Eparpillés derrière les arbres, les daims me font penser à un tableau de Magritte. Ça doit être la fatigue.
Comme le fait remarquer Gilles alors que nous lui racontons notre balade, en fin de compte, je n'aime ni la montée, ni la descente. Alors, pourquoi tant de haine? Mon amour de la montagne, des paysages, des découvertes et des prises de vue est plus fort que tout. Dès lors, tout bien pesé, j'adore marcher.
Précisons encore que le Lema est la montagne des gens du Malcantone, leur gardienne, leur totem et que de nombreuses personnes de la région en arpentent ses sentiers à toutes saisons et en guettent ses couleurs. Et comprenons l'affront qu'on leur fait quand on renomme ses installations en anglais pour faire venir les touristes (qui ne se privent d'ailleurs pas.) Alors qu'il est de bon ton de placarder des noms de rues jusqu'ici inexistants en patois, pour faire local. Non-sens, quand tu nous tiens.
Je termine sur une petite touche désuète avec ce filmetto trouvé sur Facebook que malheureusement je ne peux partager que via cette plate-forme. En citant Saverio Bernaschina qui l'a publié: "Monter sur le Lema signifiait grimper à pieds. Le télésiège était pour les touristes. Mais parfois nous aussi nous jouions aux seigneurs."
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