Ce dimanche nous restons en Lombardie relativement proche pour nous rendre au pied du massif du Campo dei Fiori. La balade part de la belle église de San Lorenzo et son tilleul séculaire. La légende veut qu’en 1848, en plein Risorgimento (unification italienne), un partisan, en présence d'une petite foule, a planté un tilleul devant l'église paroissiale d'Orino comme symbole d'indépendance. Afin d'éviter que le gouvernement austro-hongrois n'impose l'enlèvement de l'arbre, les villageois l'ont déplacé dans un endroit isolé près du cimetière. L'arbre a ainsi pu grandir et se renforcer, et les discours sur la liberté ont pu se dérouler sous sa voûte sans éveiller les soupçons.
De là, suivant la Via San Lorenzo, nous allons découvrir les premières maisons décentrées du village d’Orino, villas d’époques diverses dans des états variés.

Orino est le village du dialecte, comme l'attestent les phrases écrites sur des carreaux de céramique disséminés sur les façades. C’est aussi un petit musée itinérant à caves ouvertes, le Pom Pepin, né en 2019 pour récupérer et transmettre les traditions locales. Le nom en patois signifie "pomme Poppina", une espèce caractéristique très présente dans le passé de la région. Ici et là, il suffit d’appuyer sur un bouton pour allumer la lumière et coller son nez à une grille. On découvre la cantine du vigneron, l’atelier du menuisier, des objets de la vie courante et des photographies.
Des voûtes s’ouvrent sur des cours et l’on passe des décorations recherchées et chinées aux balcons croulants, habités de chats errants.
Le village n’est pas franchement vivant, beaucoup de demeures sont fermées: résidences secondaires, à vendre ou les deux. Témoins d’une autre époque où Orino était un lieu de villégiature prisé.
Nous effectuons un petit tour dans les ruelles au-delà de la Piazza XI Febbraio où l’église est fermée mais derrière laquelle on trouvera la classique interprétation de la grotte de Lourdes chère à la région. Sur la place déserte se dressent également le Municipio et un bâtiment à la fonction confuse qui arbore une mystérieuse oeuvre d'art, vestige d'une ancienne manifestation.
Nous nous engageons sur la via della Rocca qui va nous amener en une trentaine de minutes à la Rocca di Orino, soit le château. Ce parcours est un itinéraire didactique nommé les Induvinei in dul bosch, soit les Devinettes du bois. Le trajet dans la forêt est entrecoupé de panneaux contenant des énigmes et des dessins réalisés par les enfants à l'école. Les devinettes sont évidemment écrites en dialecte mais aussi en italien.
À un croisement nous rencontrons une vieille connaissance qui me colle aussitôt des frissons: la sorcière de Cerro. Celle de Lost.

Mais oublions cette ancienne promenade cauchemardesque pour aller voir si les histoires de la Rocca sont plus romantiques.
On suppose que ses fondations remontent à l'époque romaine. Sa construction principale est du XIVe-XVe siècle. Tour à tour (yep!) poste militaire, château féodal et résidence permanente pendant la Renaissance, la Rocca abrite bien sûr une légende. Selon une histoire datant de 1526, on raconte son occupation par des mercenaires suisses. Leur capitaine y fit par jalousie tuer sa propre femme et emprisonner son frère Francesco mais à la suite d'une rébellion de ses troupes, le capitaine fut tué et le frère oublié dans le cachot de la forteresse. Son fantôme a erré dans les environs pendant trois siècles mais il a dû cesser dans la nuit du 23 au 24 avril à 3h17 car la légende s'est estompée. Des particuliers y ont lancé un projet de restauration. Les murs et deux tours ont été récupérés et lors de quelques événements artistiques, les portes s'ouvrent au public. Il suffit d'en effectuer le tour pour réaliser que le site est très grand.
D’ici idéalement je cherchais un sentier sur Cuvio afin d’accéder aux cascades que nous verrons plus tard et effectuer une boucle Mais rien. Nous revenons sur nos pas et décidons alors, peu après le lavoir, de nous rendre à la Fonte Gesiola afin de comprendre ce que c’est. A 5 minutes, ils disent. Il s’agit ici de crapahuter sur une route pavée qui monte sec puis de douter. Arrivés au Grotto Gesiola les indications s’arrêtent net. Normal, c’est sous la terrasse du petit restaurant que se trouve LE clou du spectacle, à contre-jour sur les photos. Il s'agit d'une antique source d'eau ayant des vertus et plein de composants en -ium. Tant qu’à faire, nous décidons de nous arrêter pour boire un coup, certainement sans calcium, en devinant la vue sur une parcelle du Lac Majeur à la hauteur de Laveno et le Mont Rose qui peine à faire émerger ses sommets. La terrasse est dominée d'une Vierge et du monument aux chasseurs alpins.
De retour à l’église San Lorenzo, nous nous dirigeons alors vers les cascades de la Broveda et le Sentier de la Vallée Anglaise (Sentiero della Valle Inglese) qui m’a attiré par son nom. Dès lors, mon pauvre ami de Morges, ça ne va pas être du gâteau car il n’y a aucune indication. Après avoir contourné des troncs peinturlurés d'avertissements, nous atteignons un vieux pont de pierre et la première cascade mais ensuite cela se complique. Si bien qu’armés seulement d’un GPS et de deux bâtons, nous allons suivre un semblant de souvenir de sentier entrecoupé d’arbres et pas du tout entretenu. Arrivés à hauteur de compost de l’une des premières maisons de Cuvio, nous n’avons pas d’autre choix que de dévaler un talus à moitié sur les fesses. Sinon il faut tout remonter et ça, JAMAIS de la vie !
Nous avons ainsi rejoint le chemin qu’il fallait prendre, parallèle à notre expédition mais indécelable. Nous entrons dans le village de Cuvio où ici se trouve une indication pour les cascades datant du siècle dernier. Quelques pas pour constater que question animation, le bled n’est pas non plus très funky, même si Bob Dylan est toujours jeune.
Nous repartons pour remonter le long des cascades sur le fameux Sentier de la Vallée Anglaise. Qui va se rétrécir assez rapidement. Pour ne plus être que peau de chagrin. Au bord des vestiges d'une antique construction, nous faisons une pause au milieu d'un parterre d'ail des ours. À moins que ça ne soit l'un des autres, muguet ou colchique, qui eux par contre sont toxiques. On ne va pas prendre le risque de goûter et essayer de rentrer sans bave aux lèvres.
Coûte que coûte, nous continuons à remonter le courant, devinant le tracé, quelques marches qui s’écroulent, une rampe vermoulue, mais sinon rien. Par deux fois, nous devrons traverser la rivière sur des barrages de fortune. Qu’importe. Le lieu est évidemment désert, à part un maillot de bain oublié sur un bout de barrière foutue. Les cascades et les marmites se succèdent dans un vallon moussu et enchanteur. Le chemin côte, on glisse, on est à quatre pattes, on se raccroche à ce qu'on trouve en espérant que ça ne lâche pas, on souffre mais l'on est heu-reux. Parce que c'est beau, apaisant, étrange, perdu. À la hauteur de ruines que nous avions aperçues à l'aller, nous retrouvons le pont et revenons sur nos pas.
Au retour j'ai compris ce que nous aurions dû faire et je vous livre le secret dans le document PDF, carte comprise. Je me réjouis d'aller le tester mais seulement quand j'aurai vaincu mes courbatures et qu'il ne sera pas tombé des litres de pluie les jours d'avant.
Sources:
Quel charme que ce village presque abandonné! On aurait envie d'y passer un été... et qui sait, d'y rester pour un peu plus de temps, retiré de l'agitation... Toujours intéressantes tes randonnées - merci!