Une récente virée dans le village d’Orino m’a fait remonter un souvenir d’août 2022. Nous étions déjà passés par là lors d’une balade désastreuse qui s’était terminée proche d’un divorce au bord d’une route principale, décoiffés par le passage des poids lourds. J’avais classé toutes mes photos dans un dossier nommé Lost et je n’en avais rien fait.
Je vous livre maintenant un grand moment qui parlera certainement à ceux qui se sont déjà aventurés dans des excursions en Italie voisine. A l’époque, nous n’avions d’autre ressource qu’un peu de préparation avant le départ et la foi dans les panneaux. Sur place, pas de réseau, car se connecter sur le Wi-Fi avec un abonnement suisse équivaut au mois de salaire d’un frontalier.
Garés aux abords d’une chapelle kitsch, nous aurions mieux fait d’y laisser nos prières et nos dons. Confiants sommes-nous pourtant, il y a d’entrée des panneaux même s’ils sont recouverts de mousse. Caldana, Orino, c’est là qu’on va.
À peine sommes-nous entrés dans la forêt que le doute nous assaille.
C’est par là.
Non, ce n’est pas un sentier mais un ruisseau asséché.
C’est par là. Ou peut-être là.




De fil en aiguille, nous avons fini par atterrir à Caldana mais par quel chemin exactement, je ne saurais le dire. Si l’on regarde notre tracé GPS sur Google Maps, notre parcours doit ressembler à Pac Man essayant d’échapper aux fantômes.
Depuis ce petit village où nous trouvons de quoi faire une pause (bien nous en a pris, la suite risque d’être longue) nous arrivons dans la fraction de Cerro d'où nous entamons alors le sentier des sculptures.
Ça monte. Et puis ça monte. Et je ne suis plus en état de voir ce qu'il fait là, machin, avec son diable enchaîné.

Outre la vipère, le hibou et l’araignée, nous rencontrons la sorcière de Cerro et la Dea Berta. Je vous traduis plus où moins tel quel ce que j’ai lu sur les pancartes didactiques.

« Une légende raconte qu'à Cerro, dans une petite maison isolée, vivait une vieille et méchante sorcière. Tous les habitants du village étaient gênés par sa présence. Personne ne savait ce qu'elle faisait dans cette maison ; elle était toujours enfermée. Beaucoup murmuraient que la sorcière brassait des potions magiques et pratiquait d'étranges sortilèges. Un soir, tout le village se réunit devant l'église et, après de longues discussions, ils prirent une décision. Armés de bâtons, criant et l'insultant, ils frappèrent à sa porte et l'accusèrent de magie et de sorcellerie. Mais la pauvre sorcière, effrayée, réussit à s'enfuir et, ne sachant où aller, se réfugia dans la forêt. Aujourd'hui encore, certains affirment l'avoir vue dans l'obscurité, errant dans la forêt dense, effrayant tous ceux qu'elle rencontre pour se venger. »
Moralité: je ne sais pas. Mais j’ai une question: on doit la plaindre ou pas, la sorcière?
Venons-en maintenant à la Dea Berta.
« Une ancienne légende celtique raconte l'histoire d'une figure féminine magique appelée Berta. Elle se présente comme une belle femme aux cheveux blonds, à la robe bleue flottante, au long voile blanc et entourée d'une belle lumière dorée. La Grande Déesse Berta est également appelée la Reine des esprits de la Nature ou la Puissante Dame des Alpes. »
S’en suit une longue suite de description sur les bienfaits de cette protectrice de la végétation avec un champ lexical pesant qui balance entre l’enchanteur et le végétal.
« Notre dame, toujours suivie par son long et étrange cortège de la Berta, est toujours accompagnée par la fidèle et magique oie boiteuse, avec un drôle de chapeau rouge tiré sur la tête presque jusqu'au bec, tandis que sa jambe la plus courte est enfoncée dans une botte. Le cortège est également composé de fées, de lutins des bois, d'étranges animaux féeriques et de gnomes.

Assister au passage du cortège de la Berta apporte beaucoup de chance, de bonheur et de sagesse…… mais attention !!!!! ……..(vous aurez noté le suspens en ponctuation que j'ai retranscrit précisément) ne vous faites pas remarquer par la Berta, sinon elle vous enlèvera, et en la suivant, vous errerez éternellement dans les bois avec son étrange cortège. »
Moralité: je sèche encore. Se méfier des écologistes ?
Le moins que l’on puisse dire c’est que qu’il n’y a pas que les panneaux à être confus dans le coin. Je n'ose imaginer ce qui se passe dans la tête de leurs gosses après ça. À un moment, il nous faudra revenir en arrière. Non, je ne veux pas repasser devant cette araignée, je préfère la vipère.
Ouf, nous sortons du bois nous voici à Orino. Je me réconcilierai avec ce village quelques mois plus tard car sur le moment je commence à en avoir ras les baskets. A force de retours en arrière et avec la chaleur, cette promenade n’a bientôt plus rien de santé. Heureusement, nous atteignons assez vite le hameau d’en-dessous, Azzio, où nous trouvons un vieux monsieur dans un vieux bar d’accord de nous réchauffer une piadina je l’espère pas trop vieille alors qu'il est bientôt 15 heures.

Après cette courte pause, il s’agit de ne pas nous mettre de nuit car je réalise que nous sommes très loin de notre point de départ. Nous arrivons rapidement à Comacchio et c’est comak que tout va partir en cacahouète.

À vrai dire, oui, on aimerait bien foutre le camp d'ici. Mais par où?
Le chemin de mon plan nous ne le trouvons pas.
Peut-être à cause de ça.

Peut-être parce que je ne sais plus du tout où l’on est. D’habitude, j’ai la carte dans la tête mais là c’est le néant. C’est sûrement un sort de la Dea Berta !!!!!!!! Je ne sais bientôt plus comment je m’appelle, peut-être Karin-euh avec un e, qu’y a pas, mais qu’y met mon concubin lorsque je l’énerve. Et là, je l’énerve parce que forcément c’est de ma faute. Je lui avais dit que c’était possible avant de partir et résultat il n’a plus de pied.

On essaie d’un côté, hop, une cour de ferme. De l’autre, un cul de sac au bout d’un champ. On revient au point de départ, il fait chaud, on n’a bientôt plus d’eau et ma moitié craque pour un forfait spécial données à l’étranger qui nous renvoie sur la voie la plus rapide pour retrouver notre voiture et rentrer, bordel! À savoir la route principale limitée à 90km/h vers Brenta. Si tu roules à 90 quand c’est limité à 90 en Italie tu te fais coller au train, inutile de dire que comme piéton c’est chaud. On se fait doubler par des camions eux-mêmes doublés par des motards qui doublent des voitures. Si ça se trouve, il y aura bientôt un bouquet de fleurs en plastique supplémentaire accroché sur la glissière. Pour nous.

En passant devant une énorme usine abandonnée que nous convoitons depuis longtemps, nous avons à peine une oeillade vers sa porte d’entrée béante.
Mon comparse est remonté comme un coucou suisse, je n’arrive plus à le suivre. J’imagine que c’est comme à l’armée. Marche ou crève. Je sais pas, j’ai pas fait l’armée.
C’est long. Un rond point, pas une parcelle d’ombre, une autre route principale, pas une parcelle d'ombre. Un village, lequel? où? je ne fais plus attention. Avancer, sans penser à rien d’autre, qu’après un virage, et encore un, et encore un, on va peut-être pouvoir retrouver notre voiture. Je crois que je n'aurais jamais été aussi contente de la voir.
En tout, nous avons fait plus de 20 kilomètres.
Pendant longtemps, je ne retournerai pas mettre un pied dans cette région.
Je ne vous fais pas le plan de la balade, hein!
Mais si vous voulez combiner la déesse Berta avec le village d’Orino et d’autres points d’intérêts que la route principale vers Brenta, rendez-vous dans le billet Orino, la Rocca et les cascades.

"Tu ne peux pas vivre un conte de fées s'il te manque le courage d'entre dans le bois."
Ta gueule !
Pardon, mais je ris! J'en ai connu de ces balades foireuses, pas aussi longues, je te l'accorde, où j'ai suivi le coucou suisse pourtant pas très aguerri à travers ravines buissonneuses et lits de rivières plus ou moins secs... Heureusement, nous avons fini de crapahuter - et nous suivons les chemins - un peu trop désormais, à mon goût!