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Photo du rédacteurKarin

Santa Corona

L’automne est arrivé.

Il est temps de repartir pour un peu d’exploration.


Aujourd’hui nous allons là.



Construite entre 1923 et 1930, la structure était initialement un sanatorium. À quelques kilomètres de Milan, dans l’un des rares espaces verts qui y subsiste à ce jour, l’architecte de l’époque a fait s’éparpiller au milieu d’une pinède des pavillons de repos, des jardins et des chemins convergeant vers le corps central composé de l’impressionnante église. Le sanatorium, distant de l’agglomération voisine, était cependant relié au monde par une grande allée. Assez loin pour assurer la sécurité des bien-portants, assez proche pour répondre aux besoins des malades. Il disposait de 750 000 mètres carrés au centre d’un bois de conifères pour soigner les malades de la tuberculose. 





Initié en 1911 mais ralenti par la première guerre mondiale, le projet est mené dès le départ par un médecin passionné, Guido Salvini, spécialiste de la maladie et grand homme se dévouant corps et âme pour ses patients. Il n’hésite pas à arpenter la campagne voisine à bord de sa calèche pour faire de la prévention et soigner les paysans des cascine alentours et il est respecté de tous. Le sanatorium prendra son nom à sa mort, ça lui a certainement fait une belle jambe. Avant cela, question nom, priorité est mise sur Victor Emmanuel III. L’hôpital sera aussi appelé Santa Corona, d’après le patronyme d’un institut religieux qui en régit une partie durant un temps. C’est confus.





Dès 1943 s’y trouve un groupe de résistants parmi les infirmières et les médecins. Arrêtés par les SS et les fascistes, ils furent envoyés en camp de concentration et peu en revinrent à la fin de la guerre. 



Photo de gauche de Essere Altrove, peu après la fermeture.


Avec l’introduction de traitements plus adaptés, les cas de tuberculose ont diminué et le sanatorium s’est transformé peu à peu en hôpital général jusqu’à être complètement considéré comme tel dans les années 1970. 

Dès la fin des années 80, la structure entame un lent et inexorable déclin alors qu’à deux pas se construit le nouvel hôpital, inauguré en 2015. Une année après, l’ancien sanatorium et ses multiples bâtiments sont définitivement fermés.



Il est une question que je me pose souvent, je vous la livre. Comment gèrent-ils leurs poubelles dans ce pays ? Ils ne sont pourtant pas comme nous taxés sur le sac en plus de l’impôt communal. Ils doivent bien avoir des containers, des déchèteries? Alors, pourquoi viennent-ils poser leurs immondices dans la nature, en bord de route, vers des endroits abandonnés?

Les abords boisés du site sont jonchés d’ordures, de sacs éventrés, d’encombrants, d’habits déchirés. Le bâtiment principal est ridiculement protégé par des barrières amovibles qui laisseraient passer un mammouth et les portes sont grandes ouvertes.



J’y rentre néanmoins avec appréhension car je sais pour avoir préparé l'excursion en amont que le lieu est investi par une très longue liste d’individus: voleurs, casseurs, incendiaires, sans-abris, drogués et trafiquants, Sans oublier les adeptes de spiritisme qui y organisent des séances, en concurrence avec les rave. L’église serait un lieu privilégié pour entrer en contact avec l’au-delà. 



L’oreille à l’affut, attentive où je mets les pieds parmi les gravats, c’est la colère qui l’emporte avant tout. Qui sont-ils ceux qui se permettent de saccager un bâtiment pareil? Il ne reste plus rien et l’on peut désormais enlever les voleurs de la longue liste. Qui sont-ils ces ridicules tagueurs au QI d’huître qui osent se confronter aux maitres de l’époque en vomissant leur signature sur les murs. Ce qui est la seule chose qu'ils sachent faire. À part des bites. Juste avant de démonter un vitrail.

Sans aucun respect pour les personnes qui ont participé à cette entreprise, pour ceux qui y ont travaillé, pour les patients, ceux qui ont souffert, ceux qui y sont morts. Mais le savent-ils seulement?



L’église, majestueuse, est sprayée jusqu’à son clocher. L’intérieur, dévasté, laisse sans voix. Il n’y a que la coupole et ses ultimes fresques que ces couillons n’aient pas réussi à atteindre. 



Nous ne parcourons que le premier bâtiment. J’avoue, sur ce coup-là, je n’ai pas été très courageuse. À peine sortis nous croisons trois motards qui n’ont pas l’air bien méchants, on se dit même Ciao! Peu après ça lance du matos dans le bâtiment que l’on vient de quitter et ça pousse de grands cris de gorets. J’imagine qu’ensuite, ils écriront leur blase sur un mur s’il reste de la place. 



Nous poursuivons notre visite du site à l’extérieur, dépassant les pavillons pédiatriques et gynécologiques, anciens lieux de séjour à long terme des tuberculeux avec leurs balcons donnant sur le parc et les jardins. De ces derniers ne subsiste plus rien et la forêt n’est pas entretenue, envahie par des essences exotiques.

À l’arrière, en bord d'une petite route accessible à tous qui contourne le complexe, nous trouvons les immenses édifices des deux ailes principales. Après avoir vu le saccage, nous jugeons que l’intérieur ne doit pas être intéressant. De plus, même si quelques entrées sont évidentes, la plupart des fenêtres sont fermées par des stores ce qui signifie qu’il y fait très sombre. 

Enfin, je crois que mon comparse est un peu frustré.



Nous dépasserons encore quelques bâtiments délabrés et ouverts à tous vents ainsi que l’ancienne chaufferie qui alimentait la structure avant de nous casser le nez sur le béton de l’actuel hôpital.



Les bâtiments du sanatorium sont de style Art nouveau. Ils sont - ou doit-on désormais dire étaient- avec l’église, d’un grand intérêt architectural. Le site appartient à la Commune de Milan qui en a revendiqué la propriété devant les tribunaux. Depuis, apparemment, elle s’en lave les mains. Ah! et depuis peu, elle essaie de se débarrasser de la patate chaude, elle vend. 


En 2022, on croyait avoir trouvé un accord. Il y avait divers projets de restructuration: une maison pour les personnes âgées, un centre pour requérants d'asile, un groupement scolaire, un lieu socio-culturel. Mais aucun investisseur. On s’était mis par contre autour d’une table ronde. Deux ans après, je ne suis pas sûre qu’ils en aient fait le tour. Il se chuchote par contre que ce n’était peut-être pas une bonne idée, finalement, de construire un nouvel hôpital. Écologiquement parlant tout d’abord. On a grignoté une nouvelle parcelle d’une des rares zones vertes aux abords de Milan et on laisse 74 hectares tomber en ruines. En y ayant abandonné aussi tout un tas de matériel parce que je suppose que c’était foutu. Est-ce qu’on n’aurait pas gaspillé l’argent du contribuable pour une structure qui se révèle en fin de compte tout aussi branlante et beaucoup plus moche que l’ancienne? Tout ça pour préserver les petits profits de certains? 


Dans les actualités sur le lieu ne sortent que des articles mentionnant des incendies criminels à répétition, des soirées de spiritisme, l’arrestation de voleurs de cuivre et la découverte de dizaines de gros distributeurs à eau en plastique lâchés devant les entrées. Et quelques cris d’alerte pour signifier qu’il ne reste désormais plus grand chose à sauver dans l’église.



Je pensais conclure mon article par un lien vaguement pourri avec son nom choisi en titre: Santa Corona. Période Covid, gens qui s’emmerdent, effets de mode de l’urbex = ce désastre. Et puis j’ai pensé que c’était un peu chiant, j’ai trouvé mieux.


À notre retour, les trois motos sont toujours garées devant l’ancienne entrée et on entend des cris et des bruits de casse à l'intérieur. Si on trouvait deux barres à mine, on pourrait réduire leurs véhicules en miettes. Peut-être qu’ils apprécieraient. Dommage, j’ai oublié de prendre mon marqueur pour signer notre oeuvre.




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