Le site que nous nous apprêtons à découvrir est englouti dans une végétation foisonnante où certains arbres à leur tour enveloppés ressemblent à des animaux extraordinaires et gigantesques.
Nous avons eu du mal à trouver comment nous engloutir à notre tour mais c’est fait, nous avons déniché une vieille route. Par endroits, la jungle nous offre un répit et une échappée sur le lac et les îles Borromées.
Puis la forêt se fait plus classique et laisse tout à coup la place à deux bassins de piscines remplis d’algues et à un premier bâtiment dévasté.
La colonie Ettore Gelato* a été fondée dans les années 1920 lorsque Giacinto Gelato, propriétaire du groupe Edison, a acheté ce terrain au-dessus du lac Majeur, afin d’y construire une maison de vacances pour les enfants de ses employés. Il l’a nommée en l’honneur de son fils Ettore, décédé à l’âge de 18 ans. La structure a une soeur jumelle près de Gênes, dans le même état. En fait de maison, c’est une petite dizaine de bâtiments qui vont être construits entre 1924 et 1929 et qui forment un ensemble architectural hétérogène, conçu comme des parties autonomes destinées à remplir des fonctions précises. Le lieu de vacances va accueillir des milliers d’enfants sur plusieurs générations avant de péricliter comme les autres structures du genre dans les années 1970.
*nom d'emprunt
Cette première vue sur la piscine et le bâtiment de fonction qui va avec n’est pas des plus accueillante même s’il semble que ce soit là que se réunissaient parents et enfants pour des rassemblements au grand air avec une lichette de fascisme, suivant les décennies.
Cependant, quelques pas plus loin, nous découvrons un magnifique édifice contenant ce qui reste d’un théâtre et de ses décors, ainsi que la carcasse d’une immense maquette représentant le lieu. Le bâtiment s’effondre par endroits et dans l’herbe le pauvre Giacinto a été mâchuré et ne peut que constater, changé en statue de granit, l’ampleur du désastre.
L’étage s’ouvre sur un curieux édifice qui jure un peu avec celui que nous quittons et devait contenir des cuisines et des salles communes.
À l’arrière du bâtiment, nous prenons un escalier aux marches minuscules, semi-couvert et grimpant dans la forêt. On n’en voit pas la fin et j’ai l’impression que je vais me retrouver sur le parvis de la Cathédrale de Lausanne.
Lorsque je découvre ce qui nous attend à la fin de cet escalier, je dois avoir la même tête que si j'étais vraiment arrivée à la Cathé. Plusieurs immeubles de deux, trois étages reliés entre eux par des passerelles et surmontés en bout de piste par une barre de 5 niveaux à l’architecture typique des années 60.
L’intérieur des maisons est un vrai labyrinthe où tout est similaire dans sa dévastation mais où plus rien ne ressemble à rien. Des piles de matelas éventrés, des dossiers dispersés à tous vents, des lavabos en miettes, des habits ou des uniformes mités, voici ce qui reste des dortoirs et des sanitaires.
Seul l’immense rez-de-chaussée de l’immeuble le plus moderne se « visite » et je ne trouve pas ça dommage, il ne m’inspire pas plus que ça.
Pendant que nous revenons sur nos pas et que je m’extasie une fois de plus dans ces étranges escaliers couverts, je vais tenter de vous résumer la fin de l’histoire. À vrai dire, cela m’a semblé tellement nébuleux au niveau des rares sources que j’ai pu trouver que je commence presque à comprendre pourquoi tout part en cacahouètes par ici. Dans les années 80, la structure a été rachetée par un milliardaire suisse qui a fait exploser son laboratoire je ne sais où, mais ça n’a pas fait de victime alors ça va. Ensuite, la colonie a été liée à un scandale sanitaire et étatique lorsqu’un avocat d’affaires romain l’a acquise, pour la transformer en une maison de repos de 600 lits qui n’était en fin de compte qu’une vaste arnaque aux subventions. Reprise par des collecteurs de biens immobiliers en faillite, elle a passé ensuite aux mains des banques avant d’être achetée en 2002 par un certain Galbana. Je ne vois pas le rapport, mais ce dernier s’est tué en hélicoptère en 2009, confondant le lac de Varese avec une prairie où il pouvait atterrir. Il semble dès lors que les projets de restructuration se soient enfoncés dans les eaux avec lui.
Je ne sais pas si j’ose le dire, mais de retour au bercail je me suis aperçue qu’on avait oublié un bâtiment. Il faudra qu'une fois ou l'autre on retourne s'enfouir.
N.B. "Merci maman, merci papa" en référence aux Jolies Colonies de Vacances, mais comme c'est déjà mon deuxième billet sur le sujet, j'avance dans les paroles.
Sources principales:
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