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  • Photo du rédacteurKarin

Les jolies colonies de vacances

Le Touring Club italien a été fondé en 1894 par une soixantaines de vélocipédistes désireux de défendre les valeurs du vélo et du voyage. Avec l'arrivée de l'automobile puis la guerre, l'association s'est développée et a étendu ses activités. En 1919, le TCI a déjà beaucoup oeuvré pendant le conflit, récoltant de l’argent pour les soldats et l’affectant à différentes initiatives. Il a alors l’idée de construire une colonie de vacances afin d’offrir aux enfants pauvres, de préférence aux enfants de combattants ou orphelins de la Grande Guerre, un petit traitement de moyenne montagne, celui que les médecins jugent le plus utile.

Un projet énorme et coûteux qui malgré la contribution des membres du TCI n’aurait pas été possible sans Giovanni Chini, un homme d’affaires de la région, qui a offert 32’000 mètres carrés de terrain et de bois pour la bonne cause. La structure s’est ouverte en 1921. Très simple au départ, elle s’est enrichie durant ses premières années de nouveaux bâtiments jusqu’à devenir un véritable petit village. L’offre s’est élargie à tous les enfants et après la Deuxième Guerre mondiale, l’endroit était devenu un lieu de séjour privilégié pour les "fils" des grandes entreprises du nord de l’Italie, de Pirelli à Ducati.

L’histoire s’est interrompue en 1986. Les vacances étaient devenues non plus une exception, mais la norme, et les enfants ont commencé à partir en voyage avec leurs parents.

Depuis, la végétation a poussé autour de ce village oublié, non sans que les vandales et pilleurs aient passé par là. Nous sommes à 1000 m d’altitude, dans une montagne non loin de Varese. Encore une fois, nous sommes au milieu de nulle part.



Suivez-moi, je vous offre une visite guidée où s’enchevêtreront passé et présent. Les phrases et termes en italiques sont le résultat de ma traduction du travail de divers archivistes sur le site Valganna Info.

Le 14 juillet 1921, une première équipe de cinquante jeunes hôtes voyageant dans des camions aimablement prêtés par Milan ont gravi la montagne pour atteindre la colonie.

La première entrée n’a plus grand chose de sa gloire d’antan.



Un vague pont de pierre avec une chapelle à la décoration non moins vague. Quelques virages encore dans la forêt où l’on s’attend à chaque courbe à apercevoir le complexe avant que l’entrée principale n’émerge en contrebas.






Ici, avant, on sonnait pour s’annoncer à ce qu’on appelait l’arc Johnson, ainsi nommé d’après Federico Johnson, membre fondateur du Touring Club. D’ailleurs, sur chaque édifice, on trouvera plus d’une plaque commémorative, cadeau offert aux généreux bienfaiteurs et inscrit dans les statuts de l’association. Plus on donnait, plus la pierre était de belle facture.






Passé le portail, on arrive sur la via Chini, du nom du premier bienfaiteur du village et propriétaire du terrain.

Dès qu’ils franchissent le seuil de l’entrée monumentale, les enfants ont l’impression de commencer à rêver. Tout ce qui les entoure a été créé pour la joie de leurs yeux et le confort de leur esprit. Il faut le voir pour comprendre la fascination qu’exerce le Village Alpin sur les âmes des bambins.


Il y a en effet à l’époque une volonté très marquée de la part des initiateurs du projet de créer une structure différente des casernes militaires. Leur désir initial est de construire plusieurs bâtiments de petite taille, deux ou trois maisonnettes dortoirs pouvant accueillir chacune au maximum 25 enfants qui se réunissent dans le bâtiment central pour les repas. De plus, la vie se déroulera le plus possible en plein air. L’ambiance se veut familiale mais il ne faut pas oublier que nous sommes dans l'Italie d’entre deux guerres. Le fascisme n’est pas loin, comme le montrent des photographies des cours de gymnastique ou des saluts au drapeau. Quant à la religion, elle est omniprésente. L’établissement est en grande partie régenté par des Soeurs, il y a messe tous les jours et à notre gauche, tout de suite après l’entrée, s’élevait une statue du Christ devant laquelle les petits orphelins chuchotaient leurs prières.

A l’heure actuelle, Dieu seul sait où a fini Jésus.

Le premier bâtiment sur notre droite est la Villa Mario Pandini, ainsi nommée en hommage à l’un des fils d’un donateur, tombé aux combats. Le pavillon a été surélevé dans les années 50 pour répondre au développement du village. L’extension permit de doubler la capacité des dortoirs existants ainsi que de créer une salle de gymnastique et une de cinéma. Au rez-de-chaussée se trouvait un espace pour les proches en visite qui pouvaient y manger. Le mélange des deux genres était peut-être heureux à l’époque, du moins passe-t-il mieux sur les photographies en noir et blanc que ce qu’il reste maintenant de cette architecture après dégradation. Un mélange entre le romantisme et le chalet, explosé bien sûr.




A notre gauche se trouvait le jardin alpin Rosa De Marchi, ainsi qu’un monument représentant une jeune fille serrant son petit frère contre elle, qui était le symbole du village et qui depuis a certainement dû rejoindre Jésus. Et le jardin, n'en parlons pas.





Peu après, toujours sur notre gauche, se trouve la maison des gardiens, construite dans la tradition du Val d’Aoste. Elle servait également de réserve et de buanderie. Si comme moi vous vous posez des questions sur la richesse du vocabulaire contemporain, le mot SNOZE pourrait s’apparenter à sieste, endormi.




Nous arrivons alors sur la place Grioni.

C’est le centre du village où, plus que partout ailleurs, la vie bat son rythme joyeux, palpitant et rapide. Ici, à l’ombre de trois bouleaux, la fontaine alpine fait entendre son murmure tranquille, avec son bassin octogonal, sa colonne et ses jets qui tombent et rebondissent, en l'arrosant.




Sur cette place a été construit un petit mazot utilisé comme réserve de bois. C’est le cadeau du Club Alpin qui lui a donné le nom de cabane Silva, l’acronyme des amoureux de la montagne signifiant "Sur les sommets libres des Alpes italiennes". (Silva: Sulle italiche libere vette alpine). De ce piazzale serpentent les petites avenues qui conduisent aux trois villas utilisées pour loger les enfants, en plus du Pavillon Pandini. Les bâtiments bordant la place semblent avoir réuni le réfectoire, les cuisines, les hangars et les douches.




Depuis la place Grioni, on entre donc dans le réfectoire, une salle de 150 places où parmi plusieurs plaques figure une phrase de Bertacchi, père fondateur, résumant les buts du village en 1921.


Les offrandes aux combattants d'Italie

Après la victoire

Ont créé cet asile de bien

Où les petits hôtes peuvent respirer

Dans l'air la vigueur

Dans la lumière la foi

Dans les beaux paysages lombards le sens de la patrie italienne

Pour leur saint lendemain




De la première petite place, une ruelle amène à une esplanade protégée vers le flanc de la montagne par une balustrade en rondins et parsemée çà et là de bancs rustiques. D’un très haut mât qui jaillit d’un piédestal en granit rose flotte le drapeau tricolore, un cadeau lui aussi. Depuis là, vous entrez sur la place Benito Mussolini, le plus bel endroit de tout le village. La place centrale porte effectivement le nom glorieux sous lequel cette période la plus importante de la vie italienne entrera dans l'histoire: un nom qui indiquera aux générations futures un exemple sublime de dévouement à la patrie.

Hum! Saluons le glorieux homme.




Bordant la place, on aperçoit la villa Rosa et Marco De Marchi, conçue pour le repos des enfants mais où se trouvait également la direction de la colonie.




Quelques pas en-dessus de la villa De Marchi se trouve la troisième maisonnette-dortoir ainsi qu’un portail d’entrée secondaire.




En montant un peu, on arrive à la Madonnina, c’est-à-dire l’église du village.

Le soleil caresse les roses qui ornent ses côtés. L’architecte l’a conçue en prenant pour modèle les douces chapelles que l’on rencontre en montagne. Et en regardant la belle statue de la Madone, en marbre de Sienne, les pieux alpins ont constaté qu’elle ne ressemble à aucune autre. Et dans le village, dans la vallée, sur la montagne, elle est maintenant connue et vénérée comme la Madone des enfants.

Et hop, plus de Madone.

Et plus de cloche non plus.




Depuis la chapelle, nous rejoignons les trois derniers bâtiments qui surplombent le village, tous construits quelques années après sa mise en fonction. Le premier est le pavillon Johnson-Bertarelli qui était un hôpital.

Il est vrai que les enfants, même fragiles, sont élevés dans des conditions idéales de climat et d'environnement, dans une alimentation saine et abondante, dans une cohabitation heureuse, ils jouissent d'un bien-être enviable, ils s'épanouissent dans leur apparence et recréent leur âme. Mais lorsqu'il y a une communauté d'enfants, il faut pouvoir prévoir toutes les éventualités, même les plus fâcheuses, afin de pouvoir y faire face avec tous les moyens que la science et l'expérience suggèrent. Il peut s'agir d'une chute accidentelle, d'une forme pathologique avec une incubation préexistante ou, pire encore, d'une forme contagieuse qui apparaît soudainement et menace.

Tadadam! Pourtant, ils n’avaient pas la télé à l’époque.

Si bien qu’un nouveau bâtiment destiné exclusivement aux soins médicaux et chirurgicaux a été construit. D’un étage, il est composé de deux chambres de quatre lits, d’une salle d’infirmerie ainsi que d’une loggia extérieure à l’usage des convalescents.




Et après le pavillon de l'hôpital, il y a le pavillon des douches, offert par Ettore Moretti, un ami dévoué et précieux du village. C'est un bijou d’élégance, de pratique et de bon goût, qui suscite une admiration inconditionnelle chez tous les visiteurs.




J'ignore ce qui a pu se passer avec ce bâtiment, c'est celui qui a le plus ramassé. Un peu comme s'il avait pris quelque chose sur la tronche, la montagne, un arbre...

Nous arrivons enfin à l’école. Oui, tout bon village se doit d'en avoir une. Celle-ci a été construite après 1928, lorsque la colonie a commencé à accueillir des petits pensionnaires également durant l’hiver pour les arracher à des environnements malsains, où ils seraient des proies faciles pour la tuberculose. Il s’agit d’un bâtiment imposant avec deux magnifiques salles de classe, aérées et spacieuses, une salle de projection, un musée didactique, une salle pour la direction et une pour les enseignants. L’école est équipée selon les systèmes les plus modernes et répond aux exigences d’hygiène les plus strictes. Ainsi, les enfants pourront profiter de l’instruction qui leur sera donnée par les meilleurs maîtres de Milan et les bonnes soeurs et réintégreront le système sans effort à leur retour en ville.




Je ne sais pas à quel point notre ami taggeur s'est intégré au système mais ce qui est sûr c'est que l'école, il s'en bat les steacks, il fume de l'herbe. Snoze.

Nous redescendons maintenant directement vers le mazot et la fontaine.



Notre tour est terminé; il nous reste la place de jeux qui surveille l’entrée de ses carcasses. Le temps de nous y rendre, je vous livre encore deux précisions historiques.

Comme évoqué plus haut, dès 1928 la colonie était vite devenue victime de son succès et s’est développée afin de pouvoir accueillir des enfants également l’hiver, l'idée allant dans le sens de la campagne antituberculeuse promue par le fascisme. Le projet présentait de nombreuses inconnues car la structure et le mobilier avaient été conçus en pensant uniquement à l’été. Le chauffage a été assuré par l'installation de poêles dans toutes les pièces. Des provisions ont été rassemblées en quantité nécessaire car en hiver le village était souvent bloqué par la neige et la seule voie d’accès était un sentier muletier. Des luges et des skis ont été achetés pour permettre aux jeunes hôtes de pratiquer les sports d’hiver.

Et le 6 janvier, un petit groupe de 15 garçons et 15 filles est monté au Village par une belle journée, qui semblait vouloir offrir, avec le sourire du soleil, un salut de bon augure à ces frêles créatures. Car nos petits invités avaient été choisis parmi les élèves les plus pauvres et les plus fragiles des écoles primaires. Visages pâles, lèvres ternes, petits corps minces et délicats: tout révélait leur état de déchéance physique, tandis qu'en vain on cherchait sur leur visage ce don divin et précieux de l'enfance qu'est le sourire. La plupart de ces bambins provenaient de familles contraintes de vivre dans un environnement exigu et malsain, sans air, sans lumière, sans souffle : des familles dans lesquelles la tuberculose sévit, prête à saisir les jeunes victimes sans défense.

A midi, ils étaient tous réunis dans le réfectoire, et dans cette pièce saine, lumineuse et bien chauffée, les joues des enfants commençaient à se colorer et leurs paroles révélaient leur émerveillement et leur joie devant tout ce qui leur était offert.

Le repas fut rapidement pris, puis ils furent amenés à prendre possession de leur chalet. La vue des beaux lits de camp blancs et propres, bien alignés, était une nouvelle source d'heureuse surprise. Ils les regardaient sans oser les toucher.

Une petite fille a demandé à la dame à côté d'elle d'une voix rauque, presque comme si elle doutait de la réponse:

- Combien d'entre nous dorment dans ce petit lit?

- Il est pour toi seule, a répondu celle qu'ils pouvaient appeler Mamma. Chaque fille et chaque garçon a un petit lit pour lui.

À cette réponse inattendue, ils ont tous écarquillé les yeux, puis ont souri de joie.



Nous sommes maintenant en pleine Deuxième Guerre mondiale. Jusqu’à présent, le village fonctionnait avec deux périodes distinctes: le cycle scolaire gardait les mêmes enfants de janvier à avril. Quant au cycle des vacances d’été, il allait de juillet à septembre. Mais la guerre a de nouveau perturbé le rythme paisible de ces vagues de jeunesse. Avec les bombardements qui dévastent Milan en août 1943, de nouvelles tâches urgentes de solidarité s'imposent au village: accueillir les enfants des orphelins de guerre et les sans-abri des villes, et surtout de la Milan tourmentée. Le village a dû faire un effort suprême, en supprimant le personnel et en gardant de nombreux enfants malheureux pendant plus de deux ans d'affilée.

L'école fonctionnait sans interruption, tous les lits étaient occupés et on invitait un maximum la population à aider. C'était une période d'épreuves extrêmes. Les approvisionnements les plus courants sont devenus nocturnes, le long de routes ciblées de jour par l'armée de l'air. Le village a dû fournir des vêtements d'hiver et des chaussures aux petits réfugiés. Puis, la structure a pu dépasser cette épreuve supplémentaire et a retrouvé son rythme d'accueil habituel en gardant toujours cet esprit de solidarité.

Lors de la fermeture en 1986, des gardiens ont été maintenus sur les lieux. Pendant des années, à ce que j’ai pu en déduire, le Touring a jalousement tenu l’endroit fermé, refusant les demandes de visite des anciens pensionnaires. Puis, ils ont laissé tomber l'affaire, congédié le gardien et mis en vente le complexe en 2016 pour la somme d’un million et demi d’euros, la zone étant destinée à être utilisée pour l’hébergement et le tourisme. Mais depuis, rien n’a bougé, hormis les pilleurs et les casseurs.

Je quitte les lieux avec ce même sentiment de nostalgie et de gâchis qui m’emporte lorsque j'effectue ce genre de visites. Sur l'arc Johnson, il est écrit en lettres altérées une invite que l'on pourrait traduire ainsi: "Souviens-toi, visiteur, dans une pensée pieuse, que la patrie mère accueille ici les enfants qui souffrent afin que la nature les tempère dans leur vie." Une phrase en fin de compte prémonitoire. Et comme à chaque fois, une injonction lue dans l'ex-sanatorium de Medoscio résume au mieux ces sentiments.

Don't forget to remember.

N'oublie pas de te souvenir.




Sources:

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