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  • Photo du rédacteurKarin

Collège archiépiscopal

À vos souhaits.

Sa carcasse émerge de la végétation, dans un quartier résidentiel de cette petite ville au bord du Ceresio. Les habitants semblent ne plus y prêter attention mais se font les gardiens silencieux de la ruine. À choisir, ils préfèrent cette situation à un projet d’envergure qui aurait transformé ces 40’000 mètres cubes en appartements, magasins et services touristiques. En 2014 cependant, l’initiative a capoté et a été enterrée pour un moment. Les bâtiments eux, s'enfoncent dans la verdure.


L’histoire du lieu remonte au XVIe siècle, lorsque le père Guardiano de Lugano s’y arrête pour prêcher et trouve sur cette colline le cadre idéal pour construire un couvent de frères capucins, sous lequel les religieux bâtiront également une grotte semblable à celle de Lourdes. Au XIXe, sous l’impulsion d’un cardinal, il devient un collège archiépiscopal. (Après 10 fois, j'ai réussi à le dire.) Sous sa direction, les établissements de ce type se multiplient, dans le but de former une élite catholique préparée culturellement et professionnellement. En quelques années, l’école qui nous intéresse est devenue un centre de qualité, n'accueillant évidemment que des garçons. Le site est entouré d’un vaste parc et doté d’une vue splendide sur le lac de Lugano.


Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la position de l’édifice, élevée et proche de la Suisse, n’est pas passée inaperçue aux yeux d’un bataillon fasciste qui l’a occupé en 1943. Les partisans de la région n’ont pas apprécié et ont lancé un assaut en septembre 1944. Cependant, pour éviter que des vengeances s’effectuent auprès des familles du village et que tout cela ne se termine dans un bain de sang, les résistants ont dû négocier.

Dans un premier temps, nos pas nous amènent auprès d’une aile de l’ancien bâtiment complètement éventrée et rien à voir avec la guerre, même si des radiateurs et des lambeaux de stores restent suspendus dans le vide. La charpente du toit s’est affaissée sur les étages inférieurs, accentuant l’effet de désolation du lieu. Mais comme par défi, la plaque de marbre commémorative pour les morts de 14-18 est restée presque intacte.


Une fois la guerre terminée, le pensionnat a repris ses fonctions initiales et s’est agrandi. Il s’est doté d’une nouvelle construction, un bâtiment énorme de sept étages comprenant entre autres un théâtre que nous n’avons pas vu. Honte à nous. À moi. Il aurait fallu descendre encore, et plus on descend, plus c’est sombre. Non? Dans cet édifice que nous avons atteint par son escalier de secours, nous n’avons visité que les «autres». C’est-à-dire, vu l’état, je ne sais pas trop quoi. Des réfectoires, des salles communes, des laboratoires? Des cuisines, des chambres, pour les pensionnaires ou les enseignants? Il n’y reste que des gravats, des tags gribouillés avec des bouts de plâtres, des trous et des vestiges de salles d’eau. Et un escalier en faux marbre bleu/rosé en linoléum qui a étonnamment bien résisté. Oui, du lino! Qui l’eut cru. Plus on prend de la hauteur, plus on découvre la vue incroyable sur l’ancien bâtiment dévasté et sur les montagnes qui nous surplombent en cette journée un peu instable. Le panorama s’ouvre sur le lac. À nos pieds, la petite ville reste imperturbable devant notre incursion. Les graffitis sont moches et Hab a tenté de voler la vedette à Pesto, sans succès.


Sous les combles, nous atteignons un endroit qui malgré la lumière me donne un peu froid dans le dos. Des douches et des petites pièces qui disparaissent dans les soupentes. Ici, Oscar Wilde se dispute avec «La vie est comme ça. Rien n’est facile, mais nul n'est impossible.» Même si la végétation reprend le dessus dans cet endroit perché, j'ai envie de le quitter au plus vite.


Le "nouveau" bâtiment est relié à l'ancien par diverses passerelles. Je ne sais pas ce que le mélange donnait en période faste mais aujourd'hui, c'est surprenant. En quelques décennies après la guerre, suite au changement de moeurs et à la prolifération des écoles publiques, le nombre d’inscriptions a chuté et entrainé la fermeture du collège en 1973. La partie la plus récente a encore été utilisée jusque dans les années 1990 comme école professionnelle.

Dès l’arrêt définitif, les résidents témoignent de véritables pillages. Dans leurs maisons, ils gardent jalousement de vieilles photos jaunies de l'époque de la guerre et des cartes postales originales que les élèves envoyaient à leurs parents. "Ils ont tout emporté: les sols en terre cuite, les poêles en faïence, les carreaux et même les grilles et les rampes.» Les voleurs n'ont cependant pas réussi à s'emparer de la statue de la Madone sur l'autel de l'ancienne église; les habitants les ont devancés en la faisant sécuriser. Nous entrons dans cette église de San Ambrogio par la porte principale, murée puis éclatée. Parmi toutes mes «explorations», j’ai rarement vu une chose pareille. J'en ai presque les larmes aux yeux. Et je ne suis pas croyante. Mais quel gâchis, bastardi!


Nous parvenons à atteindre avec une attention redoublée les anciens bâtiments et en arpentons les parties les moins croulantes. On y trouvait une salle de gym, des réfectoires, des dortoirs, la cuisine et des salles de bains. Ici, on s’est servi du marbre ornant les piliers mais le papier peint n'a intéressé personne. Et puis la barrière en fer forgé, une fois démontée, on s'est aperçu qu'elle rentrait pas dans la Panda. Il ne reste qu’une étonnante salle de classe encore reconnaissable, un pupitre oublié dans un bureau et un baby-foot désossé. En arpentant ces interminables couloirs dont les voûtes vitrées donnent sur des patios, j'ai l'impression de me retrouver au Manicomio de Mombello.


Pas de fous, pourtant, ici, mais les sordides histoires orales qui vont avec tout lieu abandonné de moyenne envergure. On raconte que dans les sous-sols du collège, des expériences avaient lieu sur les élèves les plus indisciplinés. En particulier, des opérations chirurgicales qui seraient aujourd'hui déclarées comme crimes contre l'humanité et niées en bloc par la Chine. Ces pratiques auraient eu pour but de tester l'endurance humaine et d'améliorer la force en éliminant les défauts et les faiblesses. Aujourd'hui les esprits des cobayes arpenteraient les couloirs désaffectés en chantonnant une complainte sans fin. Un scandale éclate en 1900 lorsque la fille du directeur se jette par la fenêtre du 4ème étage après avoir été accidentellement témoin des tortures. On dit qu'aujourd'hui encore, la pierre tombale de la jeune fille se trouve dans la cour arrière, embusquée parmi les diverses mauvaises herbes, et que les jours de vent on peut entendre ses cris déchirants. Quant au diable, il se dit que sur l'un des murs du couvent, en l'observant à la bonne distance, il serait possible de voir un visage démoniaque tracé dans les fissures et les crevasses du mur. Parmi tous ces on-dit, je décrète qu’effectivement on peut voir plein de trucs dans les murs et les installations, qu'elles soient voulues ou non.


Cet endroit m’a fait une forte impression. Il n’est pas impossible que j’y retourne. Pour découvrir encore la salle de théâtre. Et chercher la grotte de Lourdes.


Si jamais, en italien, on dit "collegio arcivescovale". (En 4 fois, on peut y arriver.)


Sources:

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