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Photo du rédacteurKarin

Rouge


L’autre jour, je suis tombée nez à nez avec un reflet édifiant en sortant des toilettes. Oui, voilà, je commence tout de suite par le vif du sujet, mais on ne dira jamais assez comme il est difficile de se trouver un créneau-cabinet dans une journée dédiée presque sans pause à la surveillance d’enfants relativement domptables. Bref, tout en prêtant une oreille plus ou moins perceptive à la qualité des aigus qu’une bande de lutins enluminés pouvaient produire en se changeant dans les vestiaires, j’étais tout à coup effrayée par le reflet de ma tête dans le miroir qui me faisait face. Une figure parsemée de plaques rouges depuis la racine des cheveux du front jusqu’à mon bouton sous le menton.

Dans la même seconde, une première question me traversait l’esprit de façon fugace : qu’est-ce que j’avais mangé de spécial à midi ? Suivie d'un constat effrayant : ça y est, c’était un peu mon gag récurrent du mois, mais cette fois-ci c’était avéré, je souffrais VRAIMENT d’une grave allergie à l’école.

Que cette explication s’imposasse à moi de manière si évidente venait peut-être de la journée que j’étais en train de me prendre dans les pattes. Avant même de l’avoir commencée, j’avais déjà la certitude que ce serait pénible. Une matinée de 5 heures presque non stop, car, oui, j’arrive sur mon lieu de travail 1 heure avant les gones, pour préparer le terrain et je ne considère pas que la surveillance de récréation est une plage de ressourcement. A midi, je sentais déjà que mon dos commençait à siffler et je boitais en me relevant péniblement de ma chaise. Et puis, mes collègues me faisaient voir de manière un peu trop pathétique à quel point leur vie en salle des maîtres était triste avant l’arrivée d’un calendrier de l’Avent et je ressentais ainsi plus cruellement encore le manque de mon ancienne équipe, avec qui les contacts étaient plus intimistes et le langage plus franc.

Durant ma pause de midi, je tombais sur ma collègue en pleurs, car elle venait de se faire insulter et remettre en cause professionnellement par la mère de l’un des gamins qu’elle tentait désespérément d’aider.

Puis, au moment où les petits entraient en classe pour les bricolages, c’était moi qui en prenait pour mon grade et me faisais traiter comme un chien par un père aussi sûr de ses droits que le sont certains conducteurs de Mercedes.

A l'heure où je contemple mon allergie, je viens de passer l’après-midi à courir dans tous les sens pour leur faire finir leur cadre-photo et leur paquet bâclés qu’ils pourront offrir à Noël. Je sais que dans le lot, un de ces bambins de six ans regrette que je ne lui ai pas permis de faire un doigt d’honneur sur sa photo, j’ai emballé des cadeaux, tournicoté des ficelles et j’ai mis plein de peinture rouge sur le scotch parce que je ne sais pas ce qu’ils avaient foutu sur cette table avant que je m'y installe.

Ah, voilà ! Mais oui, c'est bien sûr ! C'est ça ! Peinture rouge. Comme mes doigts. Et comme ces plaques sur ma figure.

La pensée qui me vient est alors : incroyable ! et les élèves n’ont rien remarqué ! Ils sont tellement dans leur monde de Bisounours qu’il n’y en a pas un qui a eu la présence d’esprit de me signaler que j’avais changé de couleur. Et je m’agite sous le robinet, à l’eau claire et à grands renforts de mouchoirs, soudain terrorisée à l’idée de devoir affronter en l'état ma classe suivante, des 8P qui, eux, prennent un malin plaisir à se moquer de tout ce qui ne les concerne pas et qui les piétinent des deux pieds, les Bisounours.

Le soir, en racontant l’épisode à ma collègue préférée, nous avons pu nous laisser submerger par un fou rire, certes nerveux, mais qui prouve que nous pouvons encore trouver de quoi rigoler un peu dans le métier.


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