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  • Photo du rédacteurKarin

Vous prendrez bien un petit quelque chose?



En écrivant la journée bulle, planchant sur une comparaison parlante pour illustrer les répétitions dans le métier et avant d’en arriver inévitablement à Jeanne Calment, j’ai repensé à un épisode chez une vieille tante. J’ai été tentée de l’intégrer dans le texte mais même en usant d’un certain nombre de parenthèses, cela aurait été parfaitement indigeste, comme l’histoire en elle-même d’ailleurs.

Que voici.

Corvées familiales de début d’année obligent, nous nous rendons un après-midi chez une vieille tante que nous n’avons plus vue depuis quelques temps. Je dois avoir 14 ans, seuls quelques détails émergent aujourd'hui de la brume. Je ne sais même plus de quelle grand-tante il s'agissait (on en avait un tas) ni de quel côté des Alpes cela se passait.

Quoi qu’il en soit, je nous revois, mon frère et moi, n’ayant pas eu d’autre choix que de participer à la visite. Sagement assis sur un canapé fleuri, nous examinons les taches sur la tapisserie et à nous apprêtons à passer un après-midi d’un ennui tel qu’on préférerait enchaîner deux épisodes de Derrick.

Assez vite, on va se rendre compte que la tantine perd la boule avec toutes les quilles qui vont avec.

- Vous prendrez bien un petit quelque chose ? nous demande notre hôtesse à peine sommes-nous installés.

- Non merci, tu es gentille, on sort de table.

Et sans faire cas de la réponse, elle se lève, ouvre le meuble sous la télé et en sort un plateau en argent recouvert d’un napperon en papier.

- Ma soeur m’a envoyé le panettone pour les fêtes de Noël. Je vous en prépare un petit morceau ?

A voir l'objet avachi sur le plateau, on se demande un instant du Noël de quelle année elle peut bien nous parler.

- Non merci. Vraiment. On n’a pas faim.

Alors, elle range tout le bazar où elle l’a trouvé et reprend le cours de la conversation. Tu as vu que ce pauvre Alberto est mort? Pauvre homme, c’est jeune, quand même trente-sept ans. J’ai bien pleuré le soir où j’ai appris ça, surtout que ça a commencé par un simple panaris, tu te rends compte! Sinon, la santé, chez vous ça va ? Ah, ça c'est important d'avoir la santé. Et d'éviter les panaris. Mais j’y pense, vous prendrez bien un petit quelque chose ? Ma soeur m’a envoyé le panettone pour Noël.

Et elle se lève pour sortir son gâteau du meuble sous la télé. C’est la première fois que je me trouve plongée pour de vrai dans l'univers de Michel Audiard. Je commence à apprécier la situation et je ne regrette même plus de rater la Croisière s’amuse. Surtout qu’à la deuxième scène, on a un peu plus de temps pour observer les morceaux verts et se demander si ce sont vraiment des fruits confits.

Mon père n’ose plus regarder ma mère.

- Non. On te remercie. On a déjà bien mangé.

La guest-star de l'histoire, plateau en argent et napperon en papier compris, retourne dans son meuble sous la télé.

- Et sinon, avec les enfants, ça va ?

Elle parle de nous comme si on n'était pas là. J’avais bien dit que ce n’était pas la peine de venir.

- Oh bien sûr ! Tout va bien. Elle est en avant-dernière année de collège…

Où je me vautre lamentablement en math, fait honte à mon nom de famille en compréhension d'italien et me choppe mes premières heures d’arrêt en cours de couture. Faut dire qu’alors ça, c’est pas mon truc. J’ai tricoté une demi-jambière en une année. Les jambières étant un accessoire très à la mode dans les années 80. Ma grand-mère est désespérée, elle ne parvient plus à récupérer l'ampleur du désastre lorsque je lui amène discrètement, pendant le week-end, l'enchevêtrement de laine torsadée.

- … et lui il aime beaucoup l’école aussi.

Tu parles, Charles ! Moi je sais qu’il fait semblant d’être malade parce qu’en vrai, il s’y emmerde tellement qu’il trouve toutes les excuses pour pas y aller.

Et tout à coup,la grand-tante sursaute.

- Oh mais j’y pense ! Je ne vous ai même pas proposé...

Non, c’est pas possible. Elle ne va pas faire ça. Même Audiard n’aurait pas osé.

- ... un thé ?

On lui dit oui, ça occupe. Elle trottine vers la cuisine et en revient en se dirigeant tout droit sur son meuble télé.

- Et avec ça, vous prendrez bien un petit quelque chose ? Ma soeur m’a envoyé le panettone pour les fêtes.

La vache !

Mes parents passent des clins d’oeil amusés aux regards consternés.

Au troisième acte, on lui a quand même pris un bout de son gâteau. On pourra toujours le tremper dans le thé. Une fois qu’on aura allumé la plaque sous la casserole.

En croquant dans le biscuit, j’ai rencontré des trucs durs que je n’arrivais pas bien à mâcher. Je me suis demandé si ça pouvait être ses dents. J'ai oublié de vous prévenir qu'Audiard venait de partir pour laisser la place aux Monty Python.

Depuis cet épisode, j’ai toujours eu une petite appréhension à me rendre chez des personnes âgées. On ne sait jamais ce qu'elles peuvent garder dans le meuble sous la télé.

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