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  • Photo du rédacteurKarin

Histoires de guerres

Une ancienne colonie.

Un bâtiment à l’abandon.

Dans la région de Varese.

Encore!


Et bien oui.

Et figurez-vous que j’ai même pu en tirer deux ou trois histoirettes.


Cette maison qui fit plus tard partie de la structure date de 1910. Elle était habitée par deux botanistes allemands qui y faisaient des expériences et de menus travaux. C’était en réalité un couple d’espions qui avaient pour mission de contrôler le territoire et évaluer les passages possibles des troupes en cas de conflit. Ils communiquaient en signaux morse au-delà de la vallée, en direction de la Suisse où transitaient leurs messages. Lorsque la Première Guerre a éclaté, ils ont été découverts et fusillés.

Voilà, c’est clair. Une fois de plus, on n’est pas dans le monde des petits poneys.


Ce lieu a un lien très étroit avec la guerre. La colonie est bâtie sur une route militaire à quelques pas de la Linea Cadorna, une ligne de front construite sous l'impulsion d'un général du même nom entre 1911 et 1916 dans les Préalpes lombardes et piémontaises. On voulait ainsi défendre le territoire italien d'une hypothétique attaque du front suisse par les troupes austro-hongroises. La structure a été bâtie à des altitudes élevées, entre 600 et plus de 2000 mètres. Cependant, cette ligne défensive, qui comprenait des chemins muletiers, des tranchées, des postes d’observation et des hôpitaux de campagne, n’a servi à rien car les combats ont eu lieu ailleurs. C’est ballot. C’est un peu la ligne Maginot des Alpes. Occupée au début de la guerre, la Linea Cadorna a rapidement été abandonnée par les 15’000 hommes qui s’y tenaient.


A la fin de la Première Guerre mondiale, la commune de Gallarate qui n’est pourtant pas la porte à côté, obtient l’aide d’une bienfaitrice. La ville fait construire au pied du Monte Nave, au milieu des bois et non loin d’une église du XIVe siècle, une structure principalement destinée à accueillir ses orphelins. Les deux édifices, comportant les cuisines, le réfectoire et les chambres seront donc bâtis à côté de la maison des botanistes.


On trouve peu d’informations sur l’entre-deux guerres. Mais à la fin de la deuxième (oui, car ils n’avaient toujours pas compris. En 2022 toujours pas, apparemment) un prêtre, Don Natale Motta, reprend la structure afin d’accueillir cette nouvelle génération d’orphelins. Il est également désireux de leur donner une enseignement correct et des institutrices arrivent sur les lieux. C’était une expérience qui impliquait de grands sacrifices en raison de l’emplacement inconfortable ainsi que du nombre et des caractéristiques des enfants, qui furent bientôt 80 jusqu’à atteindre 250 pendant certaines périodes. Il s’agissait de minots privés de parents, abandonnés et traumatisés par les expériences tragiques de leurs familles. Principalement gérée par des soeurs, la colonie manquait de tout. Il n’y avait pas de chauffage, pas de pain, peu de couvertures.

Le temps de visiter à pas prudents ce que nous pouvons des bâtiments et je vous livre en flash-back deux éléments que je n'ai pas réussi à caser plus haut.


« Ma mère était dans la colonie quand elle était enfant en 1942. Elle a des souvenirs un peu flous, surtout d'une grande pelouse où ils faisaient la cure de soleil, une minestrone infâme, et la chanson:

di Cugliate siamo stufi, a casa vogliam tornar..."

On en a ras le bol de Cugliate, on veut rentrer chez nous.

Ingrats, va!


En mars 1945, plusieurs anciens pensionnaires se souviennent avoir vu un avion s’écraser non loin de la colonie. Certains sont même allés en récupérer des morceaux de moteur. Il s’agissait d’un bombardier américain, parti de Corse pour attaquer des ponts et des structures ferroviaires afin de ralentir les Allemands. En panne de moteur, il a tenté de gagner les Grisons où les quatre membres d’équipages, ayant sauté, ont pu s’en sortir. Perdant de l’altitude et peu aidé par des vents violents, l’avion s’est redirigé vers l’Italie. Le commandant canadien Everhart s’est vu « incompréhensiblement » accueillir à Ponte Tresa Italia par une salve de mitraillettes. Ils ont essayé de se rattraper ensuite en lui érigeant un monument. Quant à Calloway, le co-pilote, il a réussi à sauter côté suisse mais son parachute ne s’étant pas ouvert, il est mort avant vingt ans sur les collines près de Curio, dans le Malcantone.

Si nous repartons maintenant vers ce jour de l’Immaculée Conception de 1946, nous rencontrons Bianca qui commence à enseigner à la colonie. Elles étaient trois institutrices, Bianca quant à elle avait 60 élèves. Elle n’était pas logée sur les lieux et mettait deux heures à l’aller et deux au retour. Elle partait à 7h de Marzio pour redescendre vers la vallée à Marchirolo et remonter vers l’église de San Paolo. J’ai effectué ce dernier tronçon récemment et j’ai failli y perdre mes poumons. Bianca admet que ses genoux s’en souviennent. A 9h, elle arrivait à destination pour enseigner. Et dire que parfois je me plaignais. L’hiver, il lui était arrivé plus d’une fois de suivre de fausses traces dans la neige et de commencer ainsi l'école un peu plus tard, concède-t-elle.

Parmi les souvenirs les plus frappants, Bianca évoque l’heure du goûter où après une maigre répartition faite, il restait encore un bout de pain ou une pomme. Des dizaines de mains et de visages affamés se tendaient alors vers les institutrices qui ne pouvaient effectuer un choix. Elle se remémore également leur agitation pour tenter d’obtenir des vêtements de tous côtés alors que les autorités s’annonçaient pour une visite et que l’on ne voulait pas montrer ces enfants en guenilles.


Un groupe de jeunes hommes vivaient dans la colonie et aidaient les soeurs à effectuer les tâches lourdes. C’était de jeunes fascistes sauvés des camps ou des délinquants coupables d’autres délits. Placés sous la garde de Don Natale par la Cour de Justice, ils participaient à son expérience définie par certains comme une prison sans barreaux.

En 1947, les activités de la colonie sont transférées au Campo dei Fiori, où les conditions étaient meilleures. On retrouve donc Don Natale à la fin du billet homonyme.

La colonie a continué à accueillir des enfants jusqu’en 1980. J’imagine qu’avec la photo couleur, les noirceurs des deux guerres se sont éloignées, que les générations suivantes sont arrivées sur les lieux avec moins de blessures, que les attributions ont changé, que les bonnes soeurs ont peut-être disparu, même si la chapelle semble encore relativement moderne à ce que l’on puisse en juger.


Puis, comme la plupart des autres, les années 80 et les changements dans la société et le tourisme ont eu raison de la structure. Les vallées lombardes avaient perdu le charme du passé.

Le terrain appartient maintenant à une société de Rome qui y a implanté une antenne ridicule et puis c’est tout.

En 2020, une délégation municipale a visité le bâtiment, en partie pour évaluer son état de conservation, en partie par curiosité historique. L’évaluation a été vite faite mais à cette occasion, Massimo Palazzi, municipal en charge de la culture, a fait une découverte importante: une lithographie de la Vierge à l’Enfant datant de la fin du XIXe siècle et mesurant un mètre sur 70 centimètres, cadre compris. D’auteur inconnu et sans aucune valeur, l’oeuvre a néanmoins été sauvée et ramenée au Palazzo Borghi de Gallarate en mémoire d’une page de l’histoire de la ville. Car, comme l’a souligné le municipal, ce tableau a salué, accueilli et protégé des générations d’enfants.

Sur la maison du gardien que nous avons dépassé à notre entrée, je n'ai rien à dire.



Dans la forêt alentours git une 4L désossée. Des foyers et des bouteilles de Chianti enterrées témoignent de soirées festives, même si l'endroit ne comporte aucun tag, à l'instar de ses compagnons d'infortune. Les édifices sont terriblement dégradés, les toits explosés, les étages effondrés. La lumière et la végétation s'infiltrent partout dans la carcasse. Même s'il y avait eu d'autres accès, nous ne nous y serions pas aventurés. Les escaliers du porche branlent déjà.




Il est évidemment troublant de visiter ces bâtiments éventrés et de repartir vers ces années de guerre et de misère humaine au moment où l'actualité nous rattrape une fois de plus. Alors que toutes ces structures d'accueil d'orphelins disparaissent dans la nature et la mémoire d'une période que l'on croyait oubliée, nos connaissances commencent à accueillir les femmes et les enfants quittant l'Ukraine.



Références:


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