Karin
Strasbourg et la douche du touriste
De retour de Strasbourg, j'ai de quoi vous livrer quelques photos et une anecdote sous forme de nouvelle dramatico-horribilis. Et c'est tout. Oui. Parfaitement. Car si ce blog avait une dimension culturelle, si vraiment vous y appreniez quelque chose et s'il était d'une quelconque utilité, ça se saurait.
Pour ne pas que vous alliez vous coucher complètement incultes, Strasbourg est une ville française du Bas-Rhin dont le quartier historique, comprenant notamment la cathédrale Notre-Dame, se pose entre les deux bras de l'Ill, affluent du Rhin. On peut l'appeler la Petite Venise, mais il faut vraiment bien chercher. D'ailleurs, la comparaison s'arrête là. Après le point. A la ligne.
Strasbourg est une ville qui s'est résolument tournée vers la mobilité douce. La majeure partie du centre est piéton. On y croise aussi des vélos et dans certaines rues des trams. Il est assez rare de pouvoir se promener ainsi à pieds dans une cité sans subir de nuisances sonores, hormis le soudain crépitement d'une harangue en suisse allemand. Il faut le dire aussi, Strasbourg accueille un nombre notable de touristes de langue germanique, qui plus est d'une moyenne d'âge relativement élevée.

Tous ceux qui ont étudié les diagrammes de Venn avec les vieilles math qui étaient nouvelles à l'époque se rendront compte que le retraité suisse allemand est ici une denrée courante. D'ailleurs, Strasbourg est une ville située tout près du territoire sprunz et à quelques pas de la frontière avec l'Allemagne. On est en Alsace, pays des cigognes, des kougelhopfs et de la choucroute aux pieds de porc. Au gré des conflits franco-allemands, la ville a été ballottée entre les deux pays qui se la sont arrachée comme un jouet sans lui demander son avis. Depuis, en guise de dédommagement, elle est devenue capitale européenne et abrite le Parlement au drapeau bleu étoilé et le Palais des Droits de l'Homme, ce qui à mon sens n'est pas forcément un cadeau par les temps qui courent.
Le pitch sur la ville étant ainsi fait, façon Escribouillages explique le monde pour les Nuls, nous pouvons passer à une petite pause avec un choix de photos attendues.
Chose promise, voici la minute "horreurs d'une petite vie ordinaire", qui comme l'on s'en doute aura trait à de folles aventures en chambre d'hôtel, étant donné que nous n'avons pas été invités à une session du Parlement.
Notre point de chute se situe non loin du centre, dans une ruelle calme. La façade de la bâtisse ne comporte qu'un étage et trois fenêtres mais les chambres se disséminent ensuite sur quatre niveaux dans trois immeubles communicants. Un vrai dédale dont ont joué les propriétaires, chaque étage ayant un thème et chaque chambre un nom. Notre espace aménagé en turquoise est donc censé représenter un Lagon au rayon Ciel et Eau. On y accède par un parcours heureusement fléché qui peut faire penser à une visite au service d'endocrinologie au CHUV. Et pour comprendre le plan d'évacuation, il faut avoir obtenu une licence à l'EPFL.
La chambre sera agréable pour deux nuits. La salle de bain ressemble à une démonstration d'Ikea pour placer un maximum d'éléments en un minimum d'espace. Etant donné qu'il est humainement possible de viser une cuvette de WC en se mettant de travers, la question chiotte est vite réglée. Il reste maintenant à examiner l'énigme de la douche. La cabine est composée d'un pan entièrement vitré dont l'angle d'ouverture ne peut guère dépasser les 30 degrés avant d'avoir un sérieux problème de conflits d'intérêts avec le lavabo.
Je regarde la chose sceptique en imaginant mon soupirant, dont la délicatesse n'est pas une des qualités les plus louables, amorcer une entrée en piste fracassante dans une explosion de verre brisé. Pire que cela, je vois déjà du sang tapisser le carrelage blanc, sinon immaculé et il me vient en flash des images de bras et de jambes jonchant le lino turquoise lagon gondolé.

Tout en me promettant d'avertir mon Gaston Lagaffe en insistant lourdement sur la dangerosité de l'affaire, j'entame une entrée prudente et mesurée dans l'habitacle. Je me rends compte qu'il est physiquement impossible de pénétrer dans la cabine sans extraire une partie de son corps dans la chambre par la porte de la salle de bain qui, de toute façon, ne ferme pas. En résumé, il faut donc sortir son cul en dehors de la pièce pour pouvoir entrer dans la douche. Ou être foutue comme une Japonaise anorexique. Quand enfin, c'est fait, il est psychiquement difficile de constater qu'il n'y a pas d'eau chaude. C'est un peu comme risquer sa vie en grimpant au sommet d'un abricotier pour s'apercevoir qu'en fait, il n'y a pas de fruits.
Passablement éreintée par ma récente activité de contorsionniste, je me contente de recevoir des jets glacés sur les pieds et me prépare en pensée à me laver à l'eau froide quand tout à coup, instant béni, la température se met à monter. Instant de sérénité vite réduit à néant par un nouveau constat terrifiant. Le joint de la vitre a fait vacum sur le carrelage mouillé et je ne peux plus sortir à moins de forcer la porte et de finir guillotinée. J'imagine mon co-équipier descendre à la réception :
- Bonsoir, Monsieur. Nous avons un petit problème. Euh... ma copine est coincée dans la douche.
Et alors qu'un fou rire nerveux me gagne, que je commence à comprendre le sens du mot claustrophobie, que je me dis que j'aurais dû m'assurer d'avoir mis la bonne somme pour mon cierge déposé à Notre-Dame, la vitre accepte de s'ouvrir tout gentiment sur 30 degrés.
- Putain, c'est la douche de Psychose, ce truc !
Mon chum est dûment prévenu mais je crois que j'avais moins peur de donner le bain à mes enfants nouveaux-nés que de voir entrer le con qui m'est joint dans le piège de cristal.
Faut-il également préciser que tout s'entend dans ce bouge, depuis les résidents du dessus qui ont certainement dû changer dix fois la place du lit lit jusqu'aux joyeux fêtards qui sont de retour en jouant un remake des Griffes de la Nuit sur les parois des couloirs. Côté fenêtre, non pas un bruit de cité noctambule, mais un piétinement inquiétant sur les tôles de l'avant-toit qui donneraient à penser qu'il y a un trafic humain ou animalier en hauteur. Et ce craquement bizarre, tout à coup, là-bas au coin ?
- C'est rien, ça bouge dans l'armoire.
Ah. Bon.
Cela a dû me rassurer puisque j'ai dormi.