Carnets d'artiste
Escribouillages
Blog de balades et de randonnées au Tessin et en Lombardie, urbex, photographies, billets d'humeur...
Christine
Nous avions vingt ans de différence d’âge, presque jour pour jour. Lorsque je l’ai rencontrée un lundi de rentrée, une des premières choses qu’elle m’a dite, à part qu’elle était championne du monde de lancer de panosse, c’est qu’elle ne serait plus pour très longtemps dans l’enseignement. Elle allait partir sous peu ouvrir une gargote sur une île, je ne me souviens plus laquelle. Et puis, ça ne s’est pas fait, comme beaucoup de ses projets d’ailleurs, et nous nous sommes côtoyées pendant treize ans.
Des idées foireuses, elle en avait un certain nombre. Elle ne se rendait pas compte qu’elle dépassait parfois les limites, elle ne réalisait pas qu’elle se mettait elle-même dans des situations impossibles. Elle avait la tête dure et un franc-parler qui ne lui rendait pas toujours service. Son métier, elle l’avait adoré mais commençait un peu à s’en lasser et à ne pas se trouver en phase avec certaines exigences. C’était quelqu’un de passionné qui aimait être son propre chef et se retrouvait tout à coup perdue dans les procédures, la paperasse et les lois.
Longtemps, cela a été principalement elle qui s’est collé les pires cas d’élèves. Des gamins dont les parents étaient à la rue. De ceux qui pouvaient apporter un téléphone avec un film porno à montrer dans la cour. Des violents, voire des dangereux. Des pas finis.
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Cette année, nous explique Valérie, j’ai une maman qui débarque un jour sur deux dans la classe pour me tenir la jambe avec tout et n’importe quoi. Il faut dire qu’elle doit être un peu dépressive et que ça déteint sur sa fille avec qui c’est pas facile et qui a toujours des petits bobos. L’autre jour, la mère est arrivée en larmes à l’école sans sa gamine, alors je l’ai prise un moment seule pour parler. Elle me disait en pleurant : « Oh la la, quand je vois tous ces enfants en bonne santé… » Moi, j’ai eu la trouille, je me suis dit, ça y est, elle va m’annoncer que sa môme a un cancer. Non, elle avait une angine à streptocoques.
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Et elle est en quelle année, ton élève ? Attends, je calcule. Enfantine, 1ère, 2ème… Mais c’est encore moi qui vais l’avoir, ta gamine ! Elle est pour ma pomme, celle-là !
Elle adorait les gamins, même si, et comme tout le monde, il y en avait certains avec lesquels ça ne passait vraiment pas. Elle avait une façon de leur parler et de les remettre en place qui nous faisait hurler de rire, mais qui, utilisée aujourd’hui dans certains quartiers de béni-oui-oui, lui aurait valu plus d’une lettre d’un cabinet d’avocats.
Je n’en connais qu’une qui pouvait l’égaler, c’était Simone. Elle n’était pas enseignante, mais donnait la prophylaxie dentaire une fois par année dans nos classes.
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Moi, une fois, mon frère, il a dû aller chez le dentiste parce qu’il avait…
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Mais je m’en fous, des caries de ton frère, moi ! Ce n’est pas une réponse à la question que je te pose. Est-ce que je te parle des caries de ma soeur ? Ça t’intéresse ? Non ? Bon, alors…
Et elle se tournait vers nous :
- Dites voir, il est gratiné, machin !
© Ce ne sont que des enfants - Karin Antonietti
Extrait
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